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Le décor de la chapelle Saint-Louis du Prieuré par Maurice Denis : l’art sacré moderne comme expression d’amour

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  • il y a 16 minutes
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Par Sophia Drobysheva


Tout ce qui est matière de l’œuvre d’art – et la couleur est une matière comme la pierre ou l’or – doit être, à l’église, aussi pur, aussi beau que possible. Car cette matière est une créature de Dieu.

-       Maurice Denis, Journal, 1914


Lorsque le visiteur pénètre dans la chapelle Saint-Louis du Prieuré, située dans l’ancienne maison du peintre Maurice Denis, qui aujourd’hui fait partie de son musée, il est frappé par sa luminosité, la délicatesse et la douceur du coloris. Qu’il s’agisse des murs ou des vitraux, tout dans la chapelle Saint-Louis contraste avec la gravité gothique. La palette dans les tons pastel, chère au peintre et utilisée aussi bien pour les fresques que pour les vitraux crée une ambiance onirique et, a-t-on envie de dire, presque céleste. Cette impression est renforcée par le soleil froid du mois de décembre, dont les reflets en passant par le verre coloré viennent créer un effet d’aquarelle sur les murs blancs et bleu ciel.


©Coupe-File Art
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En 1915, quand Maurice Denis s’installe avec sa famille dans la nouvelle maison à Saint-Germain-en-Laye, communément appelée Le Prieuré, il note dans son Journal : « Je suis charmé par la lumière, la douceur, la gaieté grave de cette maison […] ». Cette description traduit parfaitement encore aujourd’hui l’impression donnée par la chapelle comme par toute l’ancienne demeure du peintre.


Paul Sérusier, Le Talisman, 1888. Musée d'Orsay
Paul Sérusier, Le Talisman, 1888. Musée d'Orsay

Maurice Denis, né en 1870 et mort en 1943 est connu pour avoir été un des membres fondateurs du groupe des Nabis. Le nom « Nabi » qui signifie « prophète » en hébreu, a été choisi pour annoncer la mission ambitieuse des jeunes élèves de l’académie Julian de transmettre la « révélation » picturale reçue de Paul Gauguin, traduite dans la toile de Sérusier Le Talisman (1888, musée d’Orsay). Mais c’est à Maurice Denis, le théoricien du groupe que l’on doit la fameuse formule : « Un tableau, avant d’être un champ de bataille, une femme nue ou une quiconque anecdote est une huile sur toile, recouverte de couleurs, en un certain ordre assemblés ».

Et pourtant, il serait réducteur de limiter le peintre à sa période nabi, à laquelle succèdent plusieurs années de réalisation de grands décors prestigieux sur commande, y compris pour les collectionneurs internationaux. Profondément croyant, dans la deuxième partie de sa vie Maurice Denis a contribué au renouvellement de l’art sacré moderne, notamment via la création en 1919, au lendemain de la Première Guerre mondiale, des Ateliers d’art sacré. Mais c’est précisément la décoration de la chapelle du Prieuré, entreprise en 1915, après la maladie de son épouse Marthe et suite au vœu prononcé par le peintre en échange de sa guérison, qui marque un tournant dans la carrière du peintre vers l’art sacré et la décoration des monuments religieux.


Les thématiques aux connotations chrétiennes sont présentes dans son œuvre dès ses débuts, le distinguant des autres Nabis qui privilégient souvent des sujets plus ésotériques, comme Paul Ranson, ou, au contraire, profanes – comme Pierre Bonnard. Ce n’est donc pas par hasard qu’au sein du groupe Maurice Denis soit surnommé le « nabi aux belles icônes ». Mais c’est la maladie grave et éprouvante de son épouse, vécue par le peintre comme « la fin du bonheur de sa vie terrestre » (Journal, 1915), qui l’a poussé à entreprendre cet ambitieux projet de restauration et de décoration de la chapelle de sa nouvelle propriété.


©Coupe-File Art
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Ainsi, la chapelle Saint-Louis du Prieuré, proclamée par François Fosca en 1922 première œuvre d’art religieux « tout à fait moderne », peut être vue d’après certains historiens de l’art comme la plus complète expression de la vision de Maurice Denis de l’art sacré moderne. Elle est à la fois une œuvre profondément personnelle et une expression d’amour touchante, la chapelle étant dédiée à la sainte patronne de son épouse après son décès en 1919.

La décoration de la chapelle est donc pour le peintre un engagement personnel et une source d’espoir. On peut lire la note du 24 juin 1915 dans son Journal : « J’ai fait les travaux, et la grande chapelle, vidée de son faux plancher, m’offre ses murs. Ce soir, Marthe ne peut articuler deux mots et je songe avec effroi à mon vœu, à cette grande chapelle que je ne peux plus ne pas peindre, même si elle ne guérit pas ! à moins que je ne devienne moi aussi trop triste et trop découragé. » Et, en 1917, lorsque l’état de Marthe empire : « J’ai fini mes cartons de vitraux […] je mets tout mon espoir dans le vœu que j’ai fait pour la grande chapelle ».


  ©Coupe-File Art
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Le chantier, commencé fin juin 1915 a été mené par Maurice Denis en collaboration avec ses élèves des Ateliers d’art sacré, dont Marcel Poncet, qui ont notamment réalisé les vitraux à partir des cartons du peintre. D’après Fosca, c’est leur présence aux côtes de l’artiste qui a permis un aboutissement d’une œuvre qui manifeste aussi fidèlement que possible l’application des théories de Maurice Denis sur l’art sacré. Certaines parties du décor ont été réalisées par les collaborateurs : Marcel Poncet est l’auteur du vitrail de la Visitation et ceux de la porte sont de mademoiselle Huré d’après les cartons de Maurice Denis. Cependant, toutes les parties majeures ont été réalisées par le peintre lui-même, tandis que l’autel et les parties architecturales ont été conçues par Auguste Perret, l’architecte du théâtre des Champs-Elysées, d’après les dessins du peintre.


L’exigence de la vérité dans l’église, très importante pour Maurice Denis, qui trouve le théâtral aussi choquant pour une âme pieuse que le réalisme excessif et le trompe-l’œil, est bien respecté dans l’ensemble des compositions. Le principe de la division de la couleur « en petite pièces de couleur voisins » pour mieux rendre les volumes ressort particulièrement sur les vitraux. Une préoccupation centrale pour l’artiste est de conserver leur clarté, afin de maximiser la présence de la lumière dans l’édifice, fait sans doute écho à son désir d’évoquer la présence divine.


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La chapelle est conçue comme une œuvre d’art totale : ainsi, le thème des vitraux est poursuivi dans la niche du plafond, et toutes les parties sont en dialogue entre elles. Le vitrail central, derrière l’autel, divisé en trois registres, représente trois scènes majeures de la Vie du Christ : la Nativité dans le registre du bas, à laquelle assiste le peintre lui-même, que l’on devine dans l’angle droit, en train de peindre la scène, ainsi que ses proches. Au milieu, sous les rayons du soleil, la Cène, et, dans la partie supérieure, le Christ en croix déploré par la Vierge. Le grand vitrail est prolongé dans le plafond par une représentation du Sacré Cœur du Jésus, qui se trouve dans la niche dans l’axe de la fenêtre. Les rayons lumineux partant du cœur enflammé d’ardent amour pour l’humanité font écho à ceux qui éclairent Jésus dans la Cène du registre médian du vitrail. Ainsi, le décor de la chapelle Saint-Louis est un ensemble unifié : le sujet du vitrail trouvant sa continuité dans les peintures du plafond. Les colombes et les nuages peints sur le plafond bleu ciel dirigent le regard du Sacré Cœur vers la Foi, l’Espérance et la Charité, regroupées dans une niche symétrique, au-dessus de la porte d’entrée. Les peintures de plafond ont été exécutées par le peintre en collaboration avec Albert Martine, Pierre Couturier et Paul Vera. Les vitraux latéraux de la main de Maurice Denis représentent saint Louis, la Vierge avec l’Enfant Jésus et enfin la rencontre de sainte Marthe et du Christ, qui surmonte un petit panneau en grisaille qui représente Marthe Denis sur son lit de mort. La technique de la grisaille, qui consiste à poser sur le verre de fins traits de peinture noire, fixée par la cuisson, était surtout utilisée au Moyen Âge et abandonnée au XIXe siècle. Le fait que Maurice Denis décide de la reprendre pour représenter son épouse défunte fait écho à la sincérité et la naïveté profondément chrétiennes que le peintre affectionne dans l’art médiéval. Marthe dont l’expression du visage aux yeux clos est si paisible, semble endormie, et seul le coloris éteint de la grisaille, qui contrasté avec la luminosité heureuse de la chapelle, est un signe de deuil apaisé par la rencontre de sainte Marthe avec Jésus Christ, qui préfigure celle de Marthe Denis avec le Créateur.


« Ne faites pas du Christ un danseur, et non plus un Apollon. Faites le Christ de votre cœur. » - ainsi Maurice Denis met en garde tous ceux qui aspirent à produire de l’art religieux moderne. En effet, les saints de ses vitraux ne sont pas réalistes mais frappent par leur sincérité et humanité. Tout dans la chapelle, des vitraux aux fresques, est empli du sentiment de la compassion et d’amour chrétien.


La réalisation des décors de la chapelle coïncide non seulement avec une période difficile dans la vie du peintre – la maladie de son épouse – mais aussi avec la Grande Guerre. Ce moment d’épreuve et la victoire sont vécus par Maurice Denis comme une « belle et tragique occasion de manifester la vitalité du catholicisme et du génie français ». C’est donc en 1919, au milieu du chantier de la chapelle Saint-Louis que sont fondés avec Georges Desvallières les Ateliers d’art Sacré, dont le but est de promouvoir l’art sacré moderne et de « rebâtir les églises avec nos moyens, avec notre sensibilité d’aujourd’hui, non avec notre érudition mais avec notre piété et notre cœur ».

Ainsi, la chapelle Saint-Louis du Prieuré est un premier lieu d’élaboration d’art sacré tel que l’entendait Maurice Denis, et est également le plus complet; la grande majorité des décors y ayant été réalisée par lui ou sous sa direction. Cette chapelle qui doit sa naissance au vœu prononcé pour le peintre pour la guérison de son épouse aimée, est remarquable non seulement sur le plan artistique mais aussi sentimental, ses fresques et ses vitraux respirant la foi et l’amour pour sa famille, pour Dieu et pour l’art.

Aujourd’hui, il est possible de visiter la chapelle dans le parcours de visite du musée mais pour ceux désireux de s’imprégner de l’esprit du lieu, il est possible d’assister à la messe, organisée une fois par an par la paroisse de Saint-Germain-en-Laye.

Bibliographie

Denis, Maurice. Nouvelles théories sur l’art moderne, sur l’art sacré : 1914-1921. Paris: L. Rouart et J. Watelin, éditeurs, 1922.

Fosca, François. La Chapelle de Maurice Denis à Saint-Germain-en-Laye. Paris: L’Art Catholique, 1925.

Denis, Maurice. Journal . Tome II . 1905-1920. Paris: La Colombe - Éd. du Vieux Colombier, 1957.

Musée départemental Maurice Denis – Le Prieuré,

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