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Laocoon : le chef-d'oeuvre antique

Le passage progressif de la période médiévale à l'époque moderne se caractérise par des découvertes et des avancées multiples. L'amélioration des techniques de navigation permettant les premières des « Grandes Découvertes » ou l'imprimerie sont, en cela, significatives. Mais la mutation de la société médiévale est aussi culturelle, les auteurs antiques, déjà bien connus, sont redécouverts pour eux-mêmes, c'est-à-dire débarrassés du travail des glossateurs. L'Antiquité connaît une meilleure appréhension, qui contribuera d'ailleurs à faire passer la période médiévale pour une simple période intermédiaire entre deux âges d'or, d'où elle tire son nom de Moyen Âge. Même si une telle conception est aujourd'hui délaissée, le groupe du Laocoon est un excellent exemple permettant de comprendre l'esprit de la Renaissance à ce sujet.


Alors que Donatello (1386-1466) a déjà entamé le renouveau de la sculpture durant le Quattrocento, la découverte fortuite, en 1506, dans les ruines des bains de Titus près du Colisée, d'un groupe statuaire en marbre rappelle aux hommes de la Renaissance la supériorité du talent des sculpteurs antiques. La rumeur de la beauté et de la finesse des morceaux éparpillés se répand dans Rome et Jules II, le pape, dépêche sur place l'architecte Sangallo pour se faire une idée. Les têtes de serpent permettent à Sangallo, féru de littérature antique, de reconnaître une sculpture décrite par Pline l'Ancien et réalisée par les Grecs Agésandros, Polydoros et Athénodros.

L'identification fait grand bruit car les connaisseurs lisent Pline qui en parle en ces termes : « [œuvre] qu'il faut préférer à toute la peinture et toute la sculpture ». Jules II achète immédiatement les morceaux et l’œuvre est remontée dans le cœur de ses collections au Belvédère. Dès 1515, François Ier propose de l’acquérir à maintes reprises mais il sera plusieurs fois débouté avant d'envoyer Primatice réaliser un moulage en 1540. Le Laocoon ne quittera plus le Vatican, excepté entre 1798 et 1815 où il est exposé au Louvre suite à sa session après la première campagne d'Italie de Bonaparte.

Mais quelle-est donc cette œuvre et pourquoi est-elle la source de tant de passion ?

Il s'agit d'un groupe (plusieurs personnages) sculpté représentant un événement tragique de la Guerre de Troie présent dans l’œuvre du poète Homère. Laocoon est un prêtre troyen qui pressent le piège grec et montre son scepticisme en lançant un javelot sur le cheval de Troie : « je crains les Grecs, surtout s'ils portent des présents ». Peu après, il est tué avec ses fils par des serpents, envoyés par Athéna, ce que les Troyens interprètent comme la punition du sacrilège accompli par son coup de lance : ayant la preuve de la sacralité du présent, les Troyens se décident à lui faire passer les portes de la ville...

Le groupe est composé de 8 morceaux dont le dernier, le bras droit de Laocoon, ne fut retrouvé qu'au siècle dernier. Il est en marbre et mesure 2,5m de haut, sa conception le destine à être vue de face aussi prenait-il sans doute place dans une niche ou un exèdre. La question de son authenticité, plus exactement celle de son origine, est sans doute la plus mystérieuse. Est-ce un original grec de la fin de la période hellénistique ou une copie romaine ? L'autel sur lequel sont assis des personnages a été identifié comme un marbre italien exploité vers 50 après Jésus-Christ mais il est très probable que ce ne soit qu'une restauration ou une recomposition. L'art de la période hellénistique, période de trois siècles s'étalant de la conquête par Alexandre le Grand de la méditerranée orientale à la conquête romaine en -30 av. JC, a des caractéristiques stylistiques que l'on retrouve ici.

En effet, l'importance du jeu de courbes et contres-courbes, avec une tension des muscles , une torsion exagérée des formes et aussi l'expressivité des personnages typique du « pathos » hellénistique sont remarquables. Mais les romains, excellents sculpteurs, ont beaucoup copié la perfection des œuvres grecques et il pourrait l'avoir fait pour celle-ci. Plus récemment, en 2005, Lynn Caterson, une historienne américaine a évoqué la possibilité d'une réalisation par... Michel-Ange, habitué à faire passer ses œuvres pour des originaux antiques forts lucratifs. Cette voix reste cependant largement marginale. Si la date de réalisation reste indéterminée, il n'en demeure pas moins que l'impact de la découverte de cette sculpture à la Renaissance a été littéralement considérable. D'une part parce que les expressions exacerbées et inquiètes des visages ne sont rien moins que frappantes et d'autre part parce l'aspect musculeux des formes et le surdéveloppement des muscles, tendus et sans rapport avec la nature humaine étaient très appréciés en Italie avant même sa découverte en 1506.



Cette statue a fait son apparition dans un moment de l'histoire où l'Antiquité est révérée. Elle montre aux contemporains de Jules II ce dont étaient capables leurs lointains ancêtres et laisse penser aux européens du XVIe siècle qu'entre l'Antiquité et eux, il n'y a eu qu'une période de transition méritant d'être oubliée. L'émulation qui découle de cette découverte est immédiate, chez Michel-Ange en premier lieu, et ne s'est jamais vraiment tarie au point que Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) encore au XIXe siècle, reconnaissait l'influence de cette sculpture sur sa formation.


Paul Palayer


Photographies de l'auteur

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