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Le petit monde de Beatrix Potter


Un lapin en chemise dans un potager, une oie coiffée d’un bonnet : la plupart d’entre nous avons déjà croisé au détour d'un livre pour enfant les personnages de Beatrix Potter (1866-1943).

Jusqu’au 8 janvier 2023, le Victoria and Albert Museum de Londres nous entraine sur les pas de cette artiste à travers l’exposition « Beatrix Potter : Drawn to nature ». L’occasion d’aborder quelques aspects de sa vie et de son œuvre.




Beatrix Potter, Peter Rabbit dans The Tale of Benjamin Bunny, 1904. ©National Trust Images.

C'est en 1892 que Béatrix Potter imagine pour la première fois une histoire dont le héros est Peter Rabbit (Pierre Lapin), personnage inspiré par son animal de compagnie.




Des images entre science et art


Née en 1866, la petite Beatrix Potter coule des jours heureux à Londres au sein d’un foyer bourgeois qui encourage son don pour le dessin. La nature exerce sur la jeune fille ses charmes mystérieux et très tôt, ses journaux intimes et ses carnets de croquis se remplissent de copies de la faune et de la flore.

La jeune Potter témoigne aussi d’un goût marqué pour les sciences naturelles. L’exposition met particulièrement l’accent sur cet aspect moins connu de sa vie. Un espace recréant une salle de travail remplie d’étagères, de dessins d’observation, d’animaux empaillés et de microscopes évoque le type d’activités que les enfants de la classe moyenne étaient alors encouragés à pratiquer. C’est dans cet environnement que la jeune Béatrix et son frère Bertram collectaient, étiquetaient et classaient animaux (parfois leurs propres animaux de compagnie), fougères, pierres et insectes.

Vue de la salle évoquant l'intérêt de Beatrix Potter pour les sciences naturelles, exposition "Beatrix Potter: Drawn to nature" © Victoria and Albert Museum, London.


Cette activité scientifique se fait d’abord en dilettante. Puis, dès 1885, Béatrix se spécialise dans l’étude des champignons, réalise un important travail de copies d’échantillons et élabore une théorie sur la reproduction de cette espèce.

De magnifiques aquarelles accompagnent ses travaux:



Beatrix Potter, Exemples of Yellow Grisette (Amanita crocea) and Scarlet Flycap (Amanita muscaria), 2 – 3 septembre 1897 (daté), aquarelle, crayon et encre sur papier. © Victoria & Albert Museum, London, courtesy Frederick Warne & Co Ltd.




La ligne et le coloris précis de ces études contrastent avec le rendu plus rêveur de ses illustrations pour enfants. Pourtant, les deux pratiques sont loin d'être cloisonnées : l’anthropomorphisation est fluctuante, subtile, comme s’il ne tenait qu’à un fil que le charme ne se brise et que Pierre ne redevienne qu’un lapin.



Beatrix Potter, The rabbit's dream, ca. 1895-1899, crayon, encre et aquarelle. © Victoria and Albert Museum, London / courtesy of Frederick Warne & Co.










L’illustration pour enfant : un moyen d’expression pour jeune fille de bonne famille ?


Adolescente, Béatrix Potter commence à écrire et à illustrer ses propres histoires qu’elle envoie par lettres aux enfants de sa gouvernante lorsqu’elle est en vacances. Comme dans ses œuvres ultérieures, elle y fait fleurir un rapport émotionnel à l’environnement et aux créatures qui le peuplent pour former un microcosme rassurant. Cet aspect se communique dans l’exposition par une scénographie simple mais efficace : le parcours-promenade nous entraine du jardin à l’intérieur de la maison puis au grand air de la campagne (on notera d'ailleurs que les dispositifs sont tous en excellent état après neuf mois d'accueil des publics.)

Une fois n’etant pas coutume pour une exposition d’arts graphiques, les textes ne souffrent pas d’un manque de lumière et pour cause : chaque panneau explicatif est rétroéclairé, rendant la lecture aisée, sans endommager les œuvres requérant une faible luminosité. Les supports texte sont d’ailleurs magnifiques : la surface imite le grain du papier, la mise en page et la police de caractère rappellent celles des livres de l’auteure et, privilège des expositions anglo-saxonnes, les textes ne sont proposés qu'en une seule langue, ce qui allège l’espace. Passent également sur les pages quelques petits animaux, en ombres chinoises mouvantes. Ce dispositif très simple complimente subtilement le travail de Potter.


Beatrix crée à partir de ce qui lui est familier. À ce titre son travail parle de sa condition. L'intime, l'enfantin et le quotidien : les frontières de ses aventures imaginaires sont délimitées par le milieu bourgeois dans lequel l'artiste a grandi.

Elle est très tôt en contact avec les réseaux artistiques du temps. Enfant, elle accompagne par exemple son père à l’atelier de leur voisin, John Everett Millais. Mais loin du cliché de l’artiste génial et maudit, sa pratique se rapproche davantage des occupations des jeunes filles « accomplies » du tournant du XXe siècle. Soulignons par exemple que ses premières œuvres publiées sont des cartes de Noël qu’elle avait créées afin de faire des économies, étant encore financièrement dépendante de ses parents.

L’exposition parvient parfaitement à dresser un portrait tout en nuances de Beatrix Potter, dont le sexe et le statut social orientent sans conteste la pratique sans pour autant étouffer sa créativité foisonnante.


Le goût pour la campagne anglaise


Au Royaume-Uni, l’imaginaire du pittoresque est alors en pleine transformation : l’italianisme et le Grand Tour perdent du terrain au profit des paysages de la Grande-Bretagne, dont l’image fantasmée est alimentée par les peintures d’un Constable ou d’un Millais. La famille Potter n’est pas insensible à cette vogue et les enfants s’adonnent avec délice à la chasse aux escargots et à la poursuite des blaireaux lors de fréquentes escapades à la campagne. Nombreuses sont les aquarelles qui témoignent de l’engouement de Beatrix Potter pour ces paysages. Dès le début des années 1900, le Lake District devient la toile de fond récurrente de ses histoires, en témoignent par exemple les aventures de Squirrel Nutkin qui se déroulent sur les côtes de Derwentwater (Lake District).


Beatrix Potter, « They made little rafts out of twigs, and they paddled away over the water to Owl Island to gather nuts. », dans The Tale of Squirrel Nutkin, 1903. Public domain.

Beatrix Potter imagine cette histoire en réponse aux interrogations des habitants de l’île de St Herbert (Derwentwater). Pendant la saison de la récolte des noix, les écureuils roux envahissent l’ile sans que l'on comprenne comment ils sont arrivés là. Dans The Tale of Squirrel Nutkin, l'auteure invente que les écureuils bâtissent des petits radeaux pour atteindre cette terre regorgeant de noisettes.


Dans les années 1910, la Londonienne s’installe dans le Lake District où elle a acheté une ferme. Son travail d’illustration passe progressivement au second plan alors qu’elle se passionne pour les travaux agricoles et pour la conservation du paysage via son soutien au National Trust. Cette association fondée en 1895 oeuvre pour la préservation du patrimoine naturel et bâti au Royaume-Uni et finance en partie l'exposition.



Beatrix Potter with Her Pet Mouse Xarifa, 1885. Cotsen Children’s Library. Department of Rare Books and Special Collections. Princeton University Library © Princeton University Library.


Illustratrice, conteuse, mycologue, femme des champs, Béatrix Potter est une personnalité pétrie de contrastes qui a su s’épanouir dans les carcans de la société bourgeoise de la fin du XIXe siècle. Son trait, tantôt précis, tantôt vagabond et tendre, laisse entrevoir un imaginaire puissant qui se nourrit du vécu.

À demi-mot, le parcours joue intelligemment sur la proximité avec des préoccupations contemporaines : celles des citadins séduits par un retour à une simplicité fantasmée, à une harmonie entre l’homme et la nature, à la redécouverte de son environnement et au tourisme local. Une des forces de l'exposition est donc qu’elle articule avec élégance et cohérence plusieurs niveaux de compréhension de la biographie de Béatrix Potter, s’adressant ainsi aussi bien aux familles qu’aux nostalgiques, ou encore aux amateurs d’arts graphiques et de champignons.




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