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Le Ravissement de Saint Paul, Nicolas Poussin, 1649-1650, Musée du Louvre

Par Célia De Saint Riquier


Nicolas Poussin, Le Ravissement de saint Paul, 1649-1650, Huile sur toile, H. : 1,48 m. ; L. : 1,20 m, musée du Louvre ©CéliaDeSaintRiquier

En 1650, Nicolas Poussin livre, après cinq ans d’attente, Le Ravissement de Saint Paul à Paul Scarron, poète satyrique français qui lui avait commandé à l’origine un tableau profane, sans doute une Bacchanale. Présentant une ascension dans les airs du saint patron du commanditaire, Poussin renoue avec un thème qu’il apprécie particulièrement et avec des artistes qui l’ont inspiré. Paradoxalement, c’est cette commande réalisée pour un homme que l’artiste n’appréciait pas qui va particulièrement marquer Charles le Brun, qui en fait l’objet d’une conférence à l’Académie en 1671.


L’œuvre présente dans une composition claire saint Paul, reconnaissable à son abondante barbe, porté dans le ciel par trois anges. Il s’élève d’un promontoire de pierre à l’antique, laissant voir un pilier et un mur avec une niche. Au sol sont visibles les attributs du saint : l’épée, instrument de son martyr et le livre de ses Épîtres, écrits du Nouveau Testament. Au loin s’étend un paysage. Le ciel tumultueux figure le registre céleste opposé au registre terrestre. Il s’élève avec les bras et le regard porté vers le ciel. Une lumière très vive vient éclairer la scène depuis le coin supérieur gauche de la toile. Le tableau a subi deux agrandissements plus tardif, pour une augmentation totale d’environ 20 centimètres en largeur et en hauteur.


L’épisode provient des Épîtres de saint Paul, un ensemble de treize lettres qui lui sont attribuées, intégrées au canon des Écritures. Plus spécifiquement, l’épisode du ravissement se retrouve dans la seconde Épître aux Corinthiens.

« Faut-il se glorifier ? Cela n’est pas utile ; j’en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur. Je connais un homme dans le Christ qui, il y a quatorze ans, fut ravi jusqu’au troisième ciel (si ce fut dans son corps, je ne sais ; si ce fut hors de son corps, je ne sais : Dieu le sait). Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps, je ne sais, Dieu le sait) fut enlevé dans le paradis, et qu’il a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de révéler. C’est pour cet homme-là que je me glorifierai ; mais pour ce qui est de ma personne, je ne me ferai gloire que de mes faiblesses. » (Chapitre 12, 1-5).

Les anges ne sont donc pas mentionnés et participent de l’interprétation de l’artiste. La représentation de ce sujet, par les ellipses du texte laisse une grande part d’invention à l’artiste.

Détail - Nicolas Poussin, Le Ravissement de saint Paul, 1649-1650, Huile sur toile, H. : 1,48 m. ; L. : 1,20 m, musée du Louvre

Nicolas Poussin naît aux Andélys en 1594. Arrivé à Paris vers 1612, il peine à obtenir des commandes prestigieuses et doit souvent se rendre en province pour réaliser des œuvres. Il arrive à Rome en 1624 et après quelques années difficiles, enchaîne les commandes pour le cercle érudit autour du pape Urbain VIII. Il revient en France en 1640 à la suite de l’invitation de Louis XIV et poussé par Paul Fréart de Chantelou, son ami et mécène. Il repart en 1642 en Italie d’où il envoie de nombreux tableaux à des Français, comme Le Jugement de Salomon. Cette œuvre, tout comme le ravissement de saint Paul se caractérise par un grand équilibre. Les lignes de la composition se répondent et forment des pyramides. Poussin encadre saint Paul de deux verticales qui délimitent la scène et donnent un mouvement ascendant. Les nuages épais séparent le registre céleste du registre terrestre, tandis que l’ouverture sur le paysage donne une respiration au tableau. Le jeu des couleurs est important : il structure la scène et guide le regard entre les différents personnages pour les identifier et les différencier. Chez Poussin, la couleur est au service du dessin, qui a la primauté. Cela est d’autant plus palpable lorsque l'on compare l’œuvre de Poussin à celle du Dominiquin. Poussin met toute sa composition, y compris la lumière, au service de la forme. La lumière éclaire fortement la scène et témoigne de l’influence italienne sur Poussin. Il montre une sensibilité pour l’antique, comme en témoignent son jeu des drapés et la figure de saint Paul, mais aussi pour Raphaël qu’il prend en modèle. C’est particulièrement l’école bolonaise qui va toucher Poussin, notamment celui qu’on appelle le "père du classicisme" : Annibal Carrache. Cette influence passe par l’intermédiaire du Dominiquin dont il apprend toute la rigueur des compositions en copiant nombre de ses tableaux.


Nicolas Poussin, Le Ravissement de saint Paul, 1643, Huile sur toile, 41,5 x 30 cm, The John and Mable Ringling Art Museum, Sarasota, Etats-Unis et Raphaël, La Vision d'Ezéchiel, 1518, Huile sur toile, 40,7 × 29,5 cm, Galerie Palatine

En 1643, Poussin avait déjà réalisé une première version d’un Ravissement de saint Paul pour Paul Fréart de Chantelou qui fut son intermédiaire pour la commande de Paul Scarron. Il illustre alors une scène du saint patron de Chantelou peu commune surtout pour un tableau à destination intime, l’épisode de la conversion de saint Paul étant souvent préférée. Cette première version, conservée de nos jours à Sarasota (The John and Mable Ringling Art Museum, Etats-Unis), devait être le pendant de la Vision d’Ezéchiel de Raphaël (Palais Pitti, 1518). Il parait évident que Poussin a eu l’occasion de voir ce tableau dans lequel Dieu reprend la même position avec les bras et les jambes relevés portés par des anges. Le classicisme de Poussin se joue aussi par une très grande influence de Raphaël, son inspirateur.


Le Dominiquin, Le Ravissement de saint Paul Vers 1606 - 1608 H. : 0,50 m. ; L. : 0,38 m., musée du Louvre

En Italie, il a aussi eu l’occasion de croiser le Dominiquin dont il suit d’ailleurs les cours à l'académie du nu. Ce dernier réalise en 1607-1608 une version d’un Ravissement de saint Paul (Musée du Louvre) qui est très proche, aussi bien dans le nombre de personnages, dans la composition que dans les couleurs portées par le saint de la seconde version du tableau de Poussin. De sa première version, il remploie aussi le fond uniquement paysager du Dominiquin. Poussin s’inscrit dans une tradition italienne par ces représentations de montée au ciel. Aussi peut-on aussi mentionner la Coupole saint Jean l'évangéliste à Parme du Corrège (1520) qui montre aussi un saint, bras et jambes levées vers le ciel.

Nicolas Poussin, L'Assomption de la Vierge 1649 - 1650 Huile sur soie H. : 0,57 m. ; L. : 0,40 m., musée du Louvre ©CéliaDeSaintRiquier

(L’artiste a déjà employé ce genre de compositions, notamment pour le Miracle de saint François-Xavier rappelant à la vie la fille d’un habitant de Kagoshima au Japon (1641, Musée du Louvre) dans lequel on retrouve une figure masculine forte élevée dans les airs les bras levés.) L’artiste remploiera ce genre de compositions dans les mêmes années de la réalisation du tableau pour Scarron, cette fois-ci pour une Assomption de la Vierge (1650, musée du Louvre). Il multiplie le nombre d’anges pour cette composition mais conserve son équilibre et sa clarté entre les différents personnages.


Si l’œuvre peut être discrète dans son accrochage contemporain au Louvre, elle était précédemment particulièrement mise en avant et clôturait la salle dédiée Poussin, comme pour en faire la conclusion. Elle témoigne à elle seule de toutes les différentes influences de Poussin au cours de sa vie, de son gout pour les sujets érudits et pour la complexité (la question fut notamment celle de la raison du changement de thème pour la commande à Scarron). Poussin signe son œuvre par sa touche classique qui transparaît dans sa composition, par sa structuration par la couleur et par l’architecture notamment. L’importance du dessin, qui lui vaudra son opposition à Rubens dans la querelle des coloris, transparaît dans l’utilisation de la lumière.


Détail - Nicolas Poussin, Le Ravissement de saint Paul, 1649-1650, Huile sur toile, H. : 1,48 m. ; L. : 1,20 m, musée du Louvre

Enfin, le fond de paysage qui ouvre la composition témoigne de son intérêt pour ce genre pictural, auquel il se consacrera dans la dernière décennie de sa vie, à l’instar de la série des Quatre Saisons (1660-1664) du Louvre.


Dès le XVIIème siècle, l’importance de cette œuvre est reconnue. A deux mois d’intervalle, le Ravissement de saint Paul fait l’objet d’une conférence à l’Académie, par Jean Nocret d’abord puis par Charles le Brun. Le tableau arrive rapidement dans les collections royales et André Félibien, dans son Tableaux du Cabinet du Roy, choisit cette œuvre pour commencer à aborder Poussin. Pour reprendre ses mots :


« Outre les belles expressions et la grandeur du dessein que l’on y remarque, le peintre a conduit ce tableau dans une harmonie de couleurs si douce et si agréable qu’il ne manque rien de tout ce qu’on peut désirer pour la perfection d’un si bel ouvrage. »


André Félibien, Tableaux du Cabinet du Roy. Statues et Bustes antiques des maisons royales, T.1, Paris Imprimerie royale, 1677, p. 10 -11


 

Bibliographie :


COJANNOT-LE BLANC (M.), A la recherche du rameau d’or, L’invention du Ravissement de saint Paul, de Nicolas Poussin à Charles le Brun, 2012, Presses Universitaires de Paris Ouest ISBN : 978-2-84016-107-3


SACCHI LODISPOTO (T.), Poussin et le Classicisme, Les Grands Maitres de l’art, 2008, E-ducation,it S.p.A. Florence (SCALA GROUP Florence), Le Figaro, Paris

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