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Les trésors disparus de Saint-Cloud




Le 13 octobre 1870, l’État-Major de l'armée prussienne observe les opérations du siège de Paris depuis le domaine de Saint-Cloud. Les Français, informés des positions qu'occupe l'ennemi décident de riposter. Ordre est donné aux artilleurs du Mont-Valérien de bombarder les alentours du château. Un obus mal dirigé explose alors dans l'ancienne chambre de Napoléon III, occasionnant un gigantesque incendie durant près de 48 heures. C'est donc en l'espace de deux petits jours que part littéralement en fumée le palais qui abrita bon nombre d'événements marquants de l'histoire de France. Cent cinquante ans après les faits, Coupe-File Art vous propose de reconstruire, le temps d'un article, le lieu de villégiature adoré des princes, rois, reines, empereurs et impératrices, dont nous ne conservons aujourd'hui plus que le parc, classé monument historique depuis 1994.


William Wyld (1806-1889), Vue du Château de Saint-Cloud en 1855, 1855, aquarelle et gouache, château de Windsor

Situé au sud-ouest de Paris, sur les hauteurs qui bordent la Seine, le domaine de Saint-Cloud est occupé dès le XVIème siècle par l'Hôtel d'Aulnay. Catherine de Médicis achète la propriété et l'offre à son écuyer, Jérôme de Gondi, membre d'une famille de banquiers florentins. Celui-ci y installe une maison de plaisance dans le plus pur style de la Renaissance italienne. Il agrémente le tout de jardins en terrasses accompagnés de bassins et de statues. Le roi Henri III s'y installe en 1589, en attendant de reprendre Paris à la Ligue catholique qui l'occupe. C'est là qu'il fut assassiné par le moine Jacques Clément le 1er août de la même année.


Ce funeste épisode royal ne fut pourtant pas l'origine de la renommée du lieu qui la doit avant tout à ses jardins, imaginés au XVIIème siècle. Jean-François de Gondi, premier archevêque de Paris, fait aménager de nombreuses grottes artificielles et fontaines, comme le bassin du Grand jet, que l'on peut encore contempler aujourd'hui. Lorsque l'archevêque meurt en 1654, c'est Barthélemy Hervart, intendant des finances de Louis XIV qui rachète la maison. Il fait agrandir la demeure et améliorer le réseau hydraulique, soucieux d'attirer sur lui les regards. Peut-être un peu trop, car il suscite des envieux à la Cour, et pas des moindres…


Le 25 octobre 1658, Louis XIV force Hervart à lui céder la propriété. Il en fait cadeau à son frère Philippe d'Orléans, alors duc d'Anjou. C'est entre 1676 et 1678 que le premier château de Saint-Cloud voit le jour. Comme à Versailles, on exige ce qui se fait de mieux pour le domaine princier. Le projet retenu est un plan en U, tourné vers l'est, donnant sur la Seine en contrebas. L'architecte Antoine Le Pautre est chargé de mener à bien le chantier.


Chapon-Masou, La galerie d'Apollon au château de Saint-Cloud, 1870, photographie

L'aile Sud accueille les appartements de Madame, la célèbre Princesse palatine. L'architecte Jules Hardouin-Mansart y construit un escalier monumental, rappelant celui des Ambassadeurs à Versailles. Le décor est quant à lui assuré par Jean Nocret. A l'opposé, au premier étage de l'aile Nord, se trouvent les salons d'apparat avec le salon de Mars et la galerie d'Apollon, inaugurée le 10 octobre 1677 par le Roi-Soleil en personne. Cette dernière, longue de 47,75 mètres sur 7,47 mètres de large, présente un décor entièrement réalisé par Pierre Mignard. La concurrence est sans nul doute évidente avec l'autre grand peintre de la Cour, Charles Le Brun, qui réalisa dès 1663 les décors de la galerie d'Apollon au palais du Louvre. L'aile centrale abrite quant à elle, les grands et petits appartements de Monsieur ainsi que les appartements prévus pour le roi.


Philippe d'Orléans agrandit également considérablement le parc, poussant le domaine jusqu'à sa taille actuelle de 460 hectares. Il y fait remanier entièrement les jardins par André Le Nôtre. Celui-ci y ajoute de nombreux jeux d'eau. Il réalise une perspective avec les différents bassins (notamment ceux de la Petite et Grande Gerbe) qu'il aménage sur les terrasses descendant jusqu'au fleuve. Le bassin du Fer à cheval installé au pied de l'aile Sud est pensé comme un miroir d'eau mettant en valeur la façade. Enfin, Le Nôtre imagine la célèbre Grande Cascade que nous connaissons toujours, dont l'exécution est confiée à Le Pautre.


La Grande Cascade dans le parc de Saint-Cloud

L'ensemble des fontaines consomme 1500 m³ d'eau par heure. C'est pourquoi on installe un vaste système hydraulique. La moitié de la consommation provient du détournement du ru de Vaulichard, qui passait sur le domaine. L'autre est puisée dans les 114 000 m³ des étangs de Ville-d'Avray, spécialement créés à cet effet. L'eau circule ensuite dans le Grand Réservoir, d'une contenance de 18 800 m³, installé sur les hauteurs du parc. Le système de canalisation en plomb, encore utilisé, fonctionne exclusivement grâce au dénivelé du terrain (76 mètres du point le plus haut jusqu'à la Seine sur une distance d'un kilomètre), garantissant un écoulement et une pression suffisante pour permettre notamment au Grand jet de propulser l'eau à 30 mètres de haut.


Le château reste alors la propriété de la famille d'Orléans jusqu'en 1785 où Louis-Philippe d'Orléans, l'arrière-petit-fils de Monsieur, vend le domaine à Marie-Antoinette. Elle fait réaménager le palais par son architecte favori, Richard Mique, après avoir pensé à le faire reconstruire totalement. Il réalise l'élargissement du corps de logis et de la moitié de l'aile Sud dont il refait aussi entièrement les façades côté jardin. Ce sont les derniers grands travaux extérieurs du château jusqu'à son incendie.



François Bouchot (1800-1842), Le général Bonaparte au Conseil des Cinq-Cents, à Saint Cloud. 17 novembre 1799, 1840, huile sur toile, château de Versailles

Si Saint-Cloud est devenu célèbre grâce à Monsieur et Marie-Antoinette par son faste, c'est à la Révolution, au Consulat et à l'Empire que l'on doit son passage à la postérité comme lieu de pouvoir et d'influence politique. Le domaine échappe aux destructions et aux pillages de la Révolution française en devenant officiellement la résidence d'été de Louis XVI sous le régime de la monarchie constitutionnelle. A la suite de l'exécution du roi et du régime de la Terreur, le château est délaissé mais devient le théâtre du coup d’État du 18-Brumaire perpétré par le général Bonaparte en pleine séance du conseil des Cinq-Cents dans l'orangerie. Sous le Consulat et l'Empire, Bonaparte, devenu Napoléon Ier, fait réaménager les intérieurs par les architectes Charles Percier et Pierre Fontaine dès 1801. L'empereur fait de Saint-Cloud l'une de ses résidences les plus prestigieuses. C'est dans la galerie d'Apollon qu'il se fait proclamer empereur le 18 mai 1804 et qu'il célèbre son mariage civil avec Marie-Louise en 1810.


La Restauration, qui voit le retour des Bourbon sur le trône, ne laisse pas le domaine à l'abandon puisqu'il reste un lieu de résidence d'été pour la famille royale. Charles X y signe les ordonnances qui provoquèrent sa chute lors de la révolution de juillet 1830. C'est cependant Napoléon III qui lui offre un véritable second souffle avant de le promettre, bien involontairement, à la destruction. Près de 50 ans après son oncle, il se fait à son tour proclamer empereur sous les peintures de Pierre Mignard et fait disparaître les traces du coup de force du général Vendémiaire en faisant raser l'orangerie.


Jean-Baptiste Fortuné de Fournier (1797-1864), Cabinet de Travail de l'impératrice Eugénie à Saint-Cloud, 1860, aquarelle, Compiègne

Lui et l'impératrice font aussi réorganiser les espaces intérieurs. Eugénie s'intéresse particulièrement au style Louis XVI et fait réaménager un grand nombre de pièces dans ce style. On peut le voir notamment dans ses appartements comme en témoigne par exemple l'aquarelle ci-dessus par Jean-Baptiste Fortuné de Fournier, présentant son cabinet de travail. De nombreux meubles et tableaux achetés – aux Salons notamment – par le couple sont installés à la propriété. Rapidement, l'endroit devient une vitrine politique et diplomatique, qui accueille en visite officielle les têtes couronnées étrangères telles que la reine Victoria en 1855 et le roi Charles XV de Suède en 1861.


Anonyme, La façade du château de Saint-Cloud après l'incendie, après 1870, photographie

Ironie du sort, Napoléon III signa au château le 17 juillet 1870 la déclaration de guerre à la Prusse, ratifiant par la même l'acte de destruction de celui-ci. L'incendie fait disparaître pour toujours le palais de Saint-Cloud, ne laissant pendant vingt ans qu'un squelette de pierre, tel qu'Hubert Robert aurait pu l'imaginer. C'est sur ces ruines de la noblesse que naît la IIIème République. Jugées trop imprégnées des souvenirs de l'Ancien Régime et de l'Empire, les façades furent définitivement rasées en 1891, comme l'avaient été celles du palais des Tuileries en 1883 pour les mêmes raisons. Une volonté sans doute de tourner la page des tourments politiques du siècle en train de s'achever.


 

Concernant les aménagements intérieurs juste avant la guerre de 1870, le lecteur pourra s'intéresser à la dernière exposition présentée au musée des Avelines du 10/10/2019 au 23/02/2020 dont voici le lien: https://www.musee-saintcloud.fr/agenda/les-derniers-feux-du-palais-de-saint-cloud

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