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Marseille, port sur l'Asie : un ailleurs fantasmé exposé au Château Borély

Par Margot Lecocq



« L’Asie fantasmée : Histoires d’exotisme dans les arts décoratifs en Provence aux XVIIIe et XIXe siècles », telle s’intitule la nouvelle exposition du musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode de Marseille, situé dans les murs du Château Borély en plein cœur du huitième arrondissement. Reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture, l’exposition souffle un vent de fraîcheur sur ce quartier excentré du centre-ville en proposant une histoire des influences et des échanges artistiques entre une Asie au sens large et la Provence du XVIIIe au XIXe siècle.


Fabrique Olérys-Laugier, Plaque dite "aux singes" (détail), milieu du XVIIIe siècle, faïence, décor de grand feu, Marseille, Château Borély - musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, inv. GF 3329 © Margot Lecocq



L’événement fait la part belle aux collections des musées de Marseille au travers d’une vingtaine de salles réparties sur les deux niveaux du château, et dépeint l’évolution du goût pour l’ailleurs qui se développe considérablement en Europe dès la fin du XVIIe siècle. Pour l’occasion, ce ne sont pas moins de quatre-cents œuvres qui sont présentées aux visiteurs et qui témoignent de la richesse des fonds provençaux, accompagnés de très beaux prêts.









Il s’agissait pour l’institution de présenter des œuvres d’art et des objets asiatiques anciens et originaux aux côtés des réalisations et des appropriations provençales, avant de mettre ensuite l’accent sur les spécificités des ateliers artistiques de la région ainsi que sur l’importance du collectionnisme dans la diffusion d’un goût pour l’exotisme en Provence, mais aussi en Europe. Force est de constater que la promesse a été remarquablement tenue.


Atelier Kinkozan, Brûle-parfum tripode, Ere Meiji (1868-1912), grès, style Satsuma, Marseille, Château Borély - musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, inv. GF 4315 © Margot Lecocq


Fabrique Gaspard Robert, Cafetière et Chocolatière, vers 1770-1785, porcelaine, décor de petit feu polychrome et or, Marseille, Château Borély - musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, inv. 1995.71.1 et 1996.2.1 © Margot Lecocq

La diversité des œuvres et des objets qui sont donnés à voir est à souligner : faïences, textiles, estampes, peintures, sculptures, mobilier, objets d’art et arts graphiques accompagnent savamment le discours thématique sans que le visiteur n’en perde le fil directeur. L’Asie, l’empire Ottoman et les Indes sont évoqués à travers de nombreux domaines et divertissements, us et coutumes de l’époque, toujours en lien avec l’influence et la fascination que ces contrées exerçaient alors sur le bassin méditerranéen. La gastronomie et la mode occupent une place de choix dans le parcours, et témoignent de l’actualité du goût en Provence et à Marseille dès la fin du XVIIe siècle.



Christophe Huet, Singe mangeant un fruit, premier quart du XVIIIe siècle, crayon noir, Marseille, musée Grobet-Labadié, inv. GL 1959 © Margot Lecocq

Port commercial depuis l’Antiquité, la population aisée de la ville – pour la plupart des négociants - découvre avec admiration les plaisirs venus d’ailleurs : chocolat, thé et café, mais aussi éventails, parfums aux senteurs orientales, ou encore motifs pittoresques se diffusent dans la région. Les figures chinoises, indiennes et turques ornent les services en faïence aux côtés d’un bestiaire merveilleux, tandis que les matériaux précieux tel le jade ou bien la nacre, s’emparent du monde des arts décoratifs. L’exposition fait d’ailleurs toute la lumière sur les usages de ces objets et sur leur préciosité, tout en les replaçant dans un univers vraisemblable, permettant aux visiteurs de faire un véritable saut dans le temps.


Théodore Deck, Paire de vases au dragon (détail), vers 1875-1890, faïence fine, décor incisé, modelé et appliqué sous glaçure, Marseille, Château Borély - musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, inv. GF 4208 et GF 4209 © Margot Lecocq

Si l’effervescence des échanges commerciaux en Provence permet la découverte de produits et de formes nouvelles, les artistes et artisans locaux redoublent d’imagination pour les intégrer dans leurs créations. De l’imitation de la porcelaine blanche et bleue de Chine, les ateliers et manufactures se tournent vers ces objets venus d’ailleurs, les étudient, jusqu’à les ériger en de véritables sources d’inspiration. Apparaissent alors des métissages entre la mode et le goût occidentaux et une Asie fantasmée. L’exposition démontre également la virtuosité avec laquelle les artistes provençaux ont su s’adapter pour maîtriser des techniques nouvelles afin de créer des objets et des motifs qui dépassent le stade de la pure hybridation. Le tour de force des équipes du musée réside quant à lui dans la fluidité souhaitée dans la présentation d’objets extra-européens du XVe au XVIIe siècle, parmi lesquels de nombreux vases, meubles et sculptures, aux côtés d’œuvres XVIIIe et XIXe, afin d’établir un dialogue limpide entre ces productions. Cela favorise une compréhension profonde du propos de l’exposition pour le visiteur, qui peut directement confronter les réalisations provençales à leurs modèles asiatiques.


Visuellement, le parcours se distingue par son esthétisme et une scénographie qui n’a rien à envier aux expositions les plus renommées.


Salle n°11 de l'exposition : "Théodore Deck (1823-1891, l'Asie en faïence" © Margot Lecocq

Bien au contraire, l’espace a été soigneusement pensé, sans dénaturer les salles XVIIIe, tout en créant un écrin propice à la présentation des œuvres qui semblent flotter dans les vitrines, tandis que d’autres disposées au centre des salles de l’exposition viennent créer un microcosme et permettent au visiteur de les observer de tous côtés. L’ensemble donne l’impression de pénétrer dans un univers intime et raffiné. Le visiteur se plaira sans doute à contempler de discrètes ombres chinoises dans les rayonnages supérieurs de la bibliothèque, avant de s’émerveiller devant l’impressionnant accrochage de la salle Théodore Deck.




La scénographie de la bibliothèque, située au premier étage du château, est une réussite : dans l’esprit d’un cabinet de curiosités sont présentées des œuvres de petits formats, toutes sculptées et réalisées dans des matériaux précieux. Leur exposition rappelle celle de pièces de haute joaillerie et enchante par sa disposition chromatique.


Salle n°22 de l'exposition : "La bibliothèque comme cabinet de curiosité, un microcosme asiatique", détail de l'une des vitrines © Margot Lecocq


Meiffren Conte, Nature au vase de Chine, seconde moitié du XVIIIe siècle, huile sur toile, Marseille, Château Borély - musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, dépôt du musée du Louvre, inv. RF 1952-7 / Anonyme, Commode marquetée à décor au Chinois, seconde moitié du XVIIIe siècle, bois exotiques, marbre blanc et bronze doré, Marseille, Château Borély - musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, inv. 49.101 / Paire de mules, milieu du XVIIIe siècle, cuir, soir, métal, Marseille, musée d'Histoire, inv. AF 46 / Anonyme, d'après Claude-Joseph Vernet, Eventail "L'Entrée du port de Marseille", vers 1850, feuille en papier, lithographie, monture en os, Marseille, musée d'Histoire, inv. 1977.10.8 © Margot Lecocq

Le dispositif de médiation semble lui aussi avoir bénéficié d’un intérêt tout particulier : plusieurs tablettes numériques viennent compléter les cartels habituels afin de permettre une meilleure compréhension des œuvres par la présence de notices complètes et de photographies complémentaires. Seul bémol, certains cartels traditionnels sont présentés au niveau du sol. Si la formule fonctionne dans la majorité des cas et évite une forme de pollution sur les murs - laissant de fait le champ libre aux œuvres -, certains se sont néanmoins révélés être quasi illisibles, et il est nécessaire de s’accroupir pour en découvrir le contenu. Néanmoins, l’exhaustivité de l’exposition combinée à la beauté des œuvres présentées et au soin tout particulier apporté à l’ensemble des salles, démontre l’énergie et la volonté de la ville de Marseille de proposer une offre culturelle de qualité.




À un tarif plus qu’avantageux, « L’Asie fantasmée » permet de s’évader et de découvrir l’importance des artistes régionaux dans la production artistique de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle, mais aussi d’en apprendre davantage sur les grands noms et représentants de ce goût pour l’ailleurs, tout en se familiarisant avec une collection dont la nature usuelle a parfois occulté la qualité patrimoniale.


L’exposition se clôt sur la présentation de deux œuvres réalisées par Robin Best entre 2016 et 2021 : deux vases imitant la technique du bleu de Chine et un singe en porcelaine peinte, dont les motifs font cohabiter tradition artistique occidentale et asiatique. Sur la poitrine du singe, les motifs floraux et fruitiers inspirés des Indes et du Japon servent de cadre à deux petits putti et au célèbre Voyageur contemplant une mer de nuages de Friedrich, témoignant de la pérennité d’un ailleurs rêvé, hybride et fantasmé dans l’art contemporain.


Robin Best, Harold, 2016, porcelaine peinte, Marseille, Château Borély - musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, inv. 2018.6.1 © Margot Lecocq

 


« L’Asie fantasmée : histoires d’exotisme dans les arts décoratifs en Provence aux XVIIIe et XIXe siècles »

23 juin 2023 au 19 mai 2024

Château Borély – Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode

132 Avenue Clot Bey – 13008 Marseille

Tarif d’entrée : 3 à 6 €.








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