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Napoléon n'est plus, au musée de l'Armée




Le 5 mai dernier la France commémorait le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier. Toute la France ? Rien n’est moins sûr. Même si à cette occasion le Président de la République s’est recueilli au nom du peuple devant le tombeau de « l’Aigle », deux cent ans après sa disparition sur l’île de Sainte-Hélène, l’ex-empereur des Français déchaîne encore et toujours les passions. Fossoyeur des libertés acquises à la Révolution et restaurateur de l’esclavage dans les colonies pour les uns, il est aussi le père de notre État moderne, de nos institutions et du Code civil pour les autres. Alors comment comprendre le règne et la personnalité complexe du « Petit Caporal » devenu « Empereur et Roi » ? Justement en commémorant. Parfois mal compris dans nos esprits contemporains, ce terme signifie d’abord qu’il faut se souvenir. C’est-à-dire cultiver la mémoire des grandes réussites que nous lui devons tout en n’oubliant pas les instants les plus terribles, car il y en a eu, c’est incontestable. Si nous n’empêcherons pas l’opinion de rester divisée, l’étude historique et scientifique reste encore le meilleur moyen d’appréhender qui était Napoléon Bonaparte jusqu’à son dernier souffle le 5 mai 1821 mais aussi ce qu’il nous légua lorsqu’il ne fut plus. Ce travail de mémoire et d’étude autour de la mort du souverain et de la naissance de la légende napoléonienne, le musée de l’Armée et la Fondation Napoléon y prennent naturellement leur part en proposant aux visiteurs l’exposition Napoléon n’est plus, ouverte jusqu’au 31 octobre.


Luigi Calamatta (1801 - 1869), Napoleone (de face), 1834, gravure au burin et à la roulette, Paris, musée de l'Armée

Comment se déroulèrent les derniers instants de la vie de l’Empereur ? Comment, à la suite de sa mort, sa légende s’est-elle construite dans les mémoires ? Voilà les sujets qu’aborde brillamment le commissariat d’exposition*. Nous découvrons ainsi au fil de la visite, les différents éléments factuels qui accompagnent ce funeste événement historique, tout en en décryptant les coulisses.


Evocation par la scénographie de l'exposition du corps de Napoléon sur son lit de mort le 6 mai 1821

Napoléon et les quelques membres de sa cour qui l’ont suivi dans son exil, comme le grand maréchal Bertrand ou encore le comte de Montholon orchestrent ensemble ce que devront être les derniers instants de l’Empereur. Tout est codifié et mis en scène. L’exposition, qui nous fait revivre tout d’abord chronologiquement les événements depuis l’heure du décès jusqu’à l’enterrement dans la vallée du Géranium quatre jours plus tard, nous montre la complexité de cette tâche. Les Français ne peuvent en effet pas faire tout ce qu’ils veulent. Il faut composer avec la surveillance et le contrôle constant des geôliers anglais, commandés par le sévère gouverneur Hudson Lowe.


Au travers du récit de l’autopsie par le docteur Antommarchi, médecin personnel de l’illustre prisonnier, sous le contrôle d’un corps médical britannique puis avec la présentation du fameux testament olographe de Napoléon, pièce unique en son genre exceptionnellement sortie de l’Armoire de fer des Archives nationales, le visiteur comprendra la dernière bataille napoléonienne opposant les Français et les Britanniques. Tandis que les premiers veulent faire de la mort de Napoléon un martyre dont la responsabilité incombe aux gardiens de sa prison, les seconds cherchent coûte que coûte à se disculper. C’est presque une partie d’échec qui s’engage.


De gauche à droite :

Fig. 1 : Napoléon Bonaparte (1769 - 1821), page du testament olographe de Napoléon Ier, 1821, plume et encre sur papier, Paris, Archives nationales

Fig. 2 : Vue de la salle d'exposition sur le testament de Napoléon © Paris, musée de l'Armée/Anne-Sylvaine Marre-Noël

Fig. 3 : Napoléon Bonaparte (1769 - 1821), page du testament olographe de Napoléon Ier (détail), "Ceci est mon testament écrit tout entier de ma propre main / Napoléon", 1821, Paris, Archives nationales


Au-delà des enjeux politiques et diplomatiques de cet épisode historique, nous sommes aussi plongés au fil du parcours dans le souvenir subsistant de Napoléon en Europe après sa disparition. Nombreuses sont les œuvres présentées prouvant la véritable passion qui embrase le Vieux Continent pour celui qui fut pourtant honni par beaucoup et présenté sous les traits d’un ogre sanguinaire. Tout objet ayant touché l’Empereur devient alors une relique comme cela se produit avec le culte des saints. Répertorier toutes les représentations qui touchent au mythe napoléonien serait certainement impossible tant il en existe. L’exposition s’attache à en faire découvrir parmi les plus belles et les plus fameuses. Notons au passage la qualité scénographique des salles ou la grande majorité des œuvres bénéficie d’un éclairage idéal pour pouvoir les admirer. L’ambiance clair-obscur du parcours permet d’apprécier au mieux les peintures notamment sans pour autant être gêné par les reflets des vernis pouvant recouvrir certaines huiles sur toile.


Vue d'une des salles d'exposition avec les peintures grand format et le plâtre de la sculpture Napoléon s'éveillant à l'immortalité (1845) par François Rude conservé au musée du Louvre © Paris, musée de l'Armée/Anne-Sylvaine Marre-Noël

Du côté des réussites de l’exposition, il faut également souligner le réel effort scientifique développé autour des œuvres et sur la documentation des événements tant à propos des derniers instants de Napoléon à Sainte-Hélène que sur l’épisode du retour des Cendres le 15 décembre 1840. Avec l’aide de la radiographie ou encore d’expertises de personnalités scientifiques telles que le docteur Philippe Charlier, il a été possible de faire progresser les connaissances à propos de divers objets conservés dans les collections du musée de l’Armée.


Radiographie de la boîte contenant les clés du tombeau de Napoléon © Service d’imagerie du Dr Mazetier, Clinique du Louvre

Grâce à ces nouvelles études, nous pouvons par exemple découvrir pour la première fois le contenu de la boîte renfermant les clefs du cercueil impérial placée aujourd’hui sous la garde du directeur du musée de l’Armée. Si nous connaissons la fonction des quatre premières clefs, la présence d’une cinquième, plus petite (au centre entre les deux grandes clefs d’apparat et juste en dessous de la clef d’usage), ne trouve pour le moment pas d’explication. Tout un travail fut également réalisé autour des différents masques mortuaires du visage de l’Empereur. Il est en effet aujourd’hui difficile de connaître l’exemplaire original effectué à Sainte-Hélène mais une minutieuse recherche menée par Chantal Prévot, membre du commissariat d’exposition, permet toutefois d’acquérir une meilleure appréhension de ce corpus d’œuvres.


De gauche à droite :

Fig. 1 : Masque mortuaire de Napoléon lauré, bronze patiné et doré, collection Bruno Ledoux

Fig. 2 : Boîte contenant les clés du cercueil de Napoléon Ier, 1840 © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier

Fig. 3 : Masque mortuaire de Napoléon dit "masque Bertrand", 1821, plâtre sur structure de bois, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau


L’une des grandes déceptions de cette exposition, car il y en a tout de même, c’est sans aucun doute à sa médiatisation que nous la devons. Certes nous saluons la volonté du musée d’augmenter sa présence sur les réseaux sociaux. Des partenariats comme celui réalisé avec le Scribe Accroupi pour l’inauguration virtuelle de l’exposition le 31 mars ont été de bonnes initiatives notamment dans l’optique d’atteindre de nouveaux publics, mais que dire du reste ? Nous ne pouvons que constater l’énorme fossé qui sépare sur ce plan l’exposition Napoléon à La Villette de celle qui se tient aux Invalides. Alors même que cette dernière n’est pas encore ouverte, nous ne pouvons en effet passer à côté de cet autre événement organisé par la RMN – Grand Palais, dont nous avons vu défiler nombre de spots télévisuels et entendu profusion d’annonces radiophoniques. Nous ne parlerons pas enfin de la diffusion sur France 2 d’une découverte en avant-première de son parcours présentée par Stéphane Bern lors d’une grande « soirée Napoléon » au mois d’avril.


Pendant ce temps que faisait le musée de l’Armée ? Si les commissaires sont passés à de nombreuses reprises à la télévision dans divers programmes sur la mort de l’Empereur, rien n’a cependant filtré jusqu’à une période récente à propos de l’ouverture de son intéressante exposition. Heureusement toutefois que les mots Napoléon n’est plus, ont enfin été prononcés notamment par Nicolas Demorand sur France Inter le 4 mai dernier lorsque Émilie Robbe, l’une des quatre commissaires, a été conviée au micro de la matinale pour une interview partagée avec Arthur Chevallier, le principal commissaire de l’événement prévu à La Villette.


Le travail scientifique rigoureux réalisé pour l’occasion est-t-il donc voué à être gâché en étant connu seulement d’un petit nombre ? A l’heure actuelle, en dehors des réseaux sociaux il faut malheureusement pouvoir ouvrir les bons magazines ou être un membre spécialisé du monde de la culture pour savoir que Napoléon n’est plus existe… Lorsqu’il est question de cette exposition il faut bien souvent préciser qu’il s’agit de celle des Invalides pour ne pas s’entendre dire que l’on parle de celle de La Villette. Quel dommage.


Concernant l’affichage public, notamment dans le métro parisien, il est pour le moment inexistant. La lente remise en route des campagnes d'affichage suite à la crise sanitaire explique sans doute ce phénomène. Toujours est-il qu’en ce 23 mai, en plein premier week-end de réouverture des musées, nous n’en avons pas vu. Le musée de l’Armée aurait pourtant besoin de retrouver une belle fréquentation après cette triste période qu’a traversé le monde de la culture. Le manque visible de moyens médiatiques autour de l’exposition alloués pour la réouverture laisse malheureusement perplexe sur l’aboutissement de cette heureuse perspective.


Jean-Baptiste Mauzaisse (1784 - 1844), Napoléon sur son lit de mort (détail), Salon de 1843, huile sur toile, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau

En plus de proposer un parcours agréable à l’œil, le visiteur curieux trouvera dans cette exposition un propos clair et scientifique précieux sur les derniers jours de l’exilé de Sainte-Hélène et l’émergence de sa légende. A ceux qui mettaient en avant l’aspect controversé de l’Empereur pour refuser de s’associer aux événements qui rythment ce bicentenaire, le commissariat d’exposition a répondu justement par un travail non pas de glorification du personnage mais d’analyse de la façon dont s’est créé le souvenir napoléonien depuis l’instant de sa mort. Que nous le voulions ou pas, que nous soyons en accord avec ce personnage ou non, Napoléon est une figure marquante de l’histoire de France et de l’Europe. A ce titre une telle exposition ne peut qu’être la bienvenue afin d’expliquer et de comprendre l’influence qu’insuffle encore le Grand Général alors même qu’il repose à présent dans son tombeau. Reste malheureusement un regret, celui de ne pas voir l’exposition plus relayée auprès du public auquel elle aurait tant à apporter. Il ne reste plus qu’à espérer pour le succès que l’on souhaite à cet événement organisé conjointement par le musée de l’Armée et la Fondation Napoléon que la communication à venir sera plus dynamique à son sujet.


 

Exposition Napoléon n'est plus, au musée de l'Armée du 19/05/2021 au 21/10/2021. Plus d'informations sur le site internet en cliquant ici


*Commissariat :


Musée de l'Armée :

- Émilie Robbe, conservatrice en chef du patrimoine, cheffe du département du XIXe siècle et de la Symbolique

- Léa Charliquart, cheffe de la Mission du projet d'extension du musée de l'Armée


Fondation Napoléon :

- Pierre Branda, historien, chef du service du Patrimoine

- Chantal Prévot, responsable des bibliothèques

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