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Ode colorée à la capitale endormie : Le Paris de Dufy au musée de Montmartre

Par Célia De Saint Riquier


Alors que les musées n’ont toujours pas de date de réouverture, et que le « ciel bas et lourd pèse comme un couvercle » depuis plus d’un an maintenant, le musée de Montmartre propose de nous donner un avant-goût, comme un regard à travers un trou de serrure, de leur prochaine exposition ; Le Paris de Dufy, censée ouvrir au printemps. Ce motif d’appréhension de l’œuvre de Dufy n’avait encore jamais été traité alors que plusieurs expositions se sont intéressées à son traitement de Nice ou de Venise, chose étonnante par l'abondance des œuvres réunies par les commissaires d’exposition, Didier Schulmann et Saskia Ooms. Le Paris de Dufy fonctionne comme une véritable ode colorée à la capitale ternie et ensommeillée depuis ce qui semble être une éternité.


Portrait de Raoul Dufy, avant 1927

Il semblait évident de consacrer au 12, rue Cortot, emplacement du musée de Montmartre Jardins Renoir, une exposition sur Raoul Dufy. En effet, à cette adresse vécurent un grand nombre d’artistes, comme Renoir ou Valadon, mais aussi Dufy, pendant une douzaine d’années.

Raoul Dufy naît au Havre en 1877. Son père, comptable et musicien, lui transmet le goût de la musique, qui l’accompagne toute sa vie. Talentueux, en 1899 Dufy obtient une bourse et continue son apprentissage du dessin à Paris, à l’Ecole nationale Supérieure des Beaux-Arts dans l’atelier de Léon Bonnat pour lequel travaille déjà son ami Emile-Othon Friesz, avec qui il réside au 12, rue Cortot. Dans les quinze premières années du XXème siècle, Dufy cherche encore son style, témoignant des influences successives des fauves, Matisse entre autres, de Cézanne et des cubistes. C’est à cette époque, en 1909 plus précisément, qu’il rencontre le déjà célèbre couturier Paul Poiret, et le poète Apollinaire. Les deux artistes lui permettent de varier sa pratique artistique. Le premier lui donne le goût des tissus, le second celui de la gravure. En 1911, Dufy déménage pour s’installer avec son épouse, Eugénie-Emilienne Brisson, au 5, impasse Guelma. Il reste ainsi dans Montmartre. Démobilisé car atteint de rhumatismes aigus, Dufy passe la guerre à diffuser des gravures de propagande puis est nommé en 1918 conservateur adjoint du musée de la Guerre. En 1919, s’opère un tournant dans son art. Il trouve véritablement son « style », fondé sur la fluidité, la couleur et le mouvement, notamment par le biais de dissociations entre formes et couleurs. En 1923, l’Etat lui commande une série de cartons de tapisseries sur le thème de Paris et de ses monuments pour garnir des sièges. En 1934, Marie Cuttoli, grande mécène de la tapisserie, propose à Dufy de créer d’autres cartons sur le thème de Paris. Les deux tapisseries qui en sont tirées en 1934 et 1937 sont, pour la première fois, réunies dans l’exposition. En 1937, il décroche la commande de la Fée Electricité, « le plus grand tableau du monde », qu’il réalise en quatre mois pour le pavillon de l’Electricité de l’Exposition internationale des arts et des techniques. Après ces années, la lumière et la couleurs deviennent prépondérantes dans son œuvre. Dufy quitte ensuite Paris pour Forcalquier, où il décède peu après, en 1953.


L’exposition propose un parcours thématique, s’intéressant aussi bien au Paris géographique qu’au Paris social et artistique. La ville est alors en pleine ébullition, ce qui se perçoit dans les œuvres de Dufy. Ce dernier semble cependant figer Paris dans le temps, comme une vue de carte postale. Aucune œuvre par exemple, n’aborde les dommages de la Première Guerre mondiale, ce qui dévoile la vision très nostalgique de l’artiste, qui, pour citer Didier Schulmann est en perpétuelle « recherche du temps perdu ».


Raoul Dufy, Vue de Paris depuis Montmartre, 1902 Huile sur toile, dim. 45 cm x 55 cm Collection particulière © Adagp, Paris 2021

La première salle nous donne déjà ce sentiment, en mettant en parallèle des œuvres de temporalités diverses représentant aussi bien ses premiers émois face à la ville – il convient de citer l’œuvre Vue de Paris depuis Montmartre (1902, collection particulière), d’une fraîcheur touchante – que ses souvenirs du Paris bohème, qu’il traduit en renouvelant l’œuvre Le Bal du Moulin de la Galette de Renoir (1876, musée d’Orsay), que ce dernier avait d’ailleurs peint lui aussi au 12 rue Cortot, quelques années plus tôt. L’exposition suit le déménagement de Dufy au 5, impasse Guelma et ses murs roses et bleus. L’accrochage permet aussi d’aborder l’importance de la musique pour l’artiste, tout en ne s’éloignant pas du motif de l’exposition, liant la musique aux nombreux concerts auxquels Dufy assistait dans la capitale.


Le spectateur rencontre ensuite une figure éminemment importante dans la vie de Dufy, Guillaume Apollinaire, rendant hommage aux différents projets graphiques du peintre-graveur. Les illustrations, qui laissent sentir l’influence des images d’Epinal, montrent une vision d’un Paris naïf qu’il gardera ensuite. Une salle est ensuite dédiée à la thématique du nu dans l’atelier, qui témoigne de la véhémence de l’artiste pour ce motif et la quête de son style personnel, laissant entrapercevoir les diverses influences de l’artiste qu’il peut étudier dans les expositions et rétrospectives de la capitale.


Pour célébrer le triomphe du style de Dufy, la « première partie » de l’exposition, s’achève sur la mise en scène très réussie du mobilier commandé par l’Etat, mettant en avant un mélange entre passé par l'emploi du style Louis XVI (choisi par Dufy et l’ébéniste Angré Groult) et modernité par le style naïf du peintre. La scénographie dévoile dans une sorte d’alcôve un des chefs-d’œuvre de l’exposition, à savoir le paravent Panorama de Paris, au paroxysme du style de l’artiste.


Raoul Dufy et André Groult (1884-1966) Panorama de Paris, 1933 Bois de hêtre, tapisserie de Beauvais, dim. 227 cm x 264 cm Paris, mobilier national et manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie © Adagp, Paris 2021

Ce chef-d’œuvre pousse sans hésitation le visiteur à gravir les quelques marches qui permettent d’accéder au deuxième étage, où continue l’exposition. Nous passons dans les salles permanentes du musée, ce qui permet d’apercevoir le toujours impressionnant atelier de Suzanne Valadon.


Le thème suivant de l’exposition « le plein air parisien », tend à perdre quelque peu le visiteur, et fait malheureusement partiellement retomber l’enthousiasme laissé par les œuvres d’art décoratif qu’il vient de laisser, lui redonnant à voir des œuvres plus anciennes, plus proches de la recherche de touche propre de l’artiste qui se retrouvait dans son travail sur les nus. Mais cet espace semble plutôt reposer les yeux du visiteur, pour lui permettre de mieux apprécier l’espace suivant, consacré à la Fée Electricité. Il convient de s’arrêter un instant sur l'œuvre présentée, qui correspond, non pas à un travail préparatoire pour l'œuvre du Musée d'art moderne de la ville de Paris comme nous pourrions le penser, mais à la modification par Raoul Dufy d’un exemplaire de lithographies tirées de de celle-ci, à l’initiative de Gabriel Dessus en 1951. Dufy n’étant pas satisfait du rendu, notamment des couleurs, il repeint à la main, modifie certains détails, donnant à la reproduction un caractère nouveau. L’artiste achève cette version peu avant sa mort, laissant une œuvre en elle-même qui témoigne de la précision de l’artiste mais aussi de la nostalgie de sa pratique. Les commissaires d’exposition ont choisi de manière assez innovante de présenter ces dix feuilles réunies, pour redonner l’impression d’une continuité, ce qui n’avait que trop rarement été fait lors de précédentes expositions.


Une petite salle nous montre ensuite Dufy et la mode, rappelant l’importance de Paul Poiret et le côté « touche à tout » du peintre. Enfin, avant de passer à la dernière salle de l’exposition, nous passons dans un couloir qui met en avant la place du dessin pour l’artiste. Dufy disait en effet ne jamais passer un seul jour sans dessiner, pratique qu’il ne considère pas comme un exercice, mais bien comme seul moyen de trouver le trait juste.


La dernière salle de l’exposition fonctionne comme une conclusion sur les rapports que l’artiste entretien avec Paris. Comme le montrent les deux tapisseries commandées en 1934 par Marie Cuttoli et exposées ensemble pour la première fois, Dufy propose une vision panoramique de la ville, ce qui sous-entend un certain détachement dans son sentiment d’appartenance à la capitale, mais en parallèle une affection certaine pour ce qu’elle contient, dans le traitement imposant de ses bâtiments touristiques. Si malgré tout, la guerre a laissé sa trace, assombrissant quelque peu le ciel de ses dernières œuvres, Dufy garde, tout au long de sa carrière, le regard juvénile de son arrivée à la capitale dans un émerveillement coloré qui révèle un élan de confiance en la nation qui pourtant traverse des périodes relativement sombres (rappelons que beaucoup de ses œuvres sont des commandes de l’Etat). Les couleurs règnent toujours, assurant la pérennité de la cité, même à travers les épreuves.


Pour conclure, l’exposition, montée par l’atelier de scénographie Maciej Fiszer, propose une ambiance sobre et douce, dans les tons bleus chers à l’artiste. Elle aborde des thématiques diverses qui laissent percevoir l’importance de Paris dans sa vie. L'exposition réunit des œuvres trop peu souvent exposées et presque jamais réunies, et ce grâce à la participation exceptionnelle du Centre Pompidou et à un partenariat avec le Mobilier national et les manufactures des Gobelins, de Beauvais, et de la Savonnerie. Si certaines œuvres, par l’impression forte qu’elles laissent au spectateur, ont tendance à déséquilibrer l’exposition, il faut néanmoins saluer la logique de la scénographie, plaçant en annexe certaines petites thématiques et reliant les déambulations dans la ville à celles de l’exposition, tout en s’achevant par un envol symbolique de l’artiste au-dessus de la capitale. L’artiste, tout au long de sa vie, comme l’explique Didier Schulmann, garde en effet une position de « flâneur en lévitation », d’un émerveillement sans fin pour Paris. Il serait d'autant plus symbolique que cette exposition puisse ouvrir au printemps, enterrant ainsi cette image ternie que nous voyons tous les jours pour célébrer, comme Dufy, Paris en tant que la ville lumière, et ce, malgré tout ce qu’elle peut traverser.


 

Le Paris de Dufy au musée de Montmartre Jardins Renoir, Printemps - septembre 2021

Commissariat : Didier Schulmann, Saskia Ooms.

Scénographie : Atelier Maciej Fiszer

Publication : Catalogue co-édité par le musée de Montmartre et In Finé éditions d'art,

Bilingue français/anglais - 100 illustrations - 175 pages Prix : 19,95 €

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