« Je pense que les sculpteurs de ma génération tels que Gaudier-Brzeska, Villon, Archipenko, Brancusi, Lipschitz et moi-même pouvons être considérés comme les continuateurs de l’antique tradition de ces tailleurs de pierre et de bois, qui, partis de la forêt, chantaient librement leurs rêves d’oiseaux fantastiques et de grands fûts d’arbres. »
Le musée Zadkine, lieu insolite de la capitale, consacre une exposition inédite au sculpteur, questionnant son lien unique, organique avec la matière. Elle constitue l'occasion de revenir sur cet artiste et son œuvre singulière.
D’origine russe, Ossip Zadkine arrive à Paris aux premières lueurs des années 1910. Après un passage éclair au Beaux-Arts, il se met « au service du bois sans revêtir l'uniforme académique » et acquiert une certaine renommée grâce à sa maitrise de la taille directe, une taille sans croquis préalable ni modèle et qui tient compte de la forme initiale du bloc pour faire émerger une forme inédite. Devenant rapidement l’une des figures artistiques du quartier Montparnasse, il se lie d’amitié avec Amedeo Modigliani ou encore Guillaume Apollinaire. De l’Art Déco au Cubisme, la galaxie Zadkine s’étale sur différentes phases. Il occupe une place aussi importante que singulière au sein des modernistes du XXe siècle. De plus, il s’inscrit véritablement dans un courant qui, dans le prolongement de Gauguin, pense qu’il faut revenir à un art plus primitif. Il s’adonne à une plongée « dans les eaux régénératrices de l'archaïsme » mêlée à une relecture de l'antiquité à l'image de son contemporain Antoine Bourdelle.
Le Musée Zadkine apparait comme un témoin de l'effervescence artistique du quartier du Montparnasse dans ces années 10-20. Comme un refuge de verdure au milieu d’un ville en perpétuelle ébullition, il est installé dans l’ancien atelier et maison du sculpteur au 100bis de la rue d'Assas dans le 6e arrondissement.
Zadkine y travaille de 1928 à 1967. Le lieu est ouvert au public en 1982 grâce aux legs de Valentine Prax, son épouse.
Zadkine entretient un rapport particulier avec la matière, qu’il considère comme matricielle. C'est en effet, à son sens, « du dialogue avec la matière que nait le geste de l'homme ». C’est ce que questionne l’exposition Ossip Zadkine, l’instinct de la matière qui se déploie au musée jusqu’en février 2019.
Au travers d'une scénographie induisant trois parties - Matière source, Richesse plastique et Atelier intérieur - et rassemblant sculptures et dessins, il est aisé de cerner le rôle primordial du matériau.
L'exposition s'ouvre sur certaines des plus anciennes œuvres du sculpteur, nées de cette fameuse plongée dans les eaux régénératrices de l'archaïsme. Baignées de lumière dans une scénographie épurée, les forces se dévoilent. Les œuvres de Zadkine naissent de l'écoute de la matière.
Tête héroïque (1909-1910) est la plus ancienne oeuvre du sculpteur conservée à ce jour. Taillée à partir d'un bloc de granit retrouvé dans un champ, cette tête témoigne du goût pour le primitivisme à l'aube des années 10. Les formes sont à peine suggérées, le tout est très simple, témoignant de la technique de taille directe du sculpteur.
L'autre témoin de maîtrise de cette technique est la Sainte Famille (1912-1913). Les formes ne font qu'un avec le marbre. L'ensemble surgit de la matière et s'en retrouve magnifié. Renvoyant à la tradition orthodoxe, cette œuvre témoigne de l'attachement du sculpteur à sa Russie natale et à sa « forêt psychique ».
Le deuxième temps de l'exposition est consacré à la matière transformée. Les techniques d’incrustation, d’assemblage et d’incorporation utilisées par Ossip Zadkine témoignent du potentiel métamorphique du matériel ainsi que du lien étroit que le sculpteur entretient avec les arts décoratifs.
S'y dévoile notamment le fameux Fauve, entré au Musée de Grenoble en 1921. Star de l'exposition, le sculpteur en relate la création ainsi : « Un jour un ami m'a fait cadeau d'un bloc de bois tordu. J'ai immédiatement imaginé un fauve, un, vrai, un grand jouet. J'ai taillé avec un enchantement réel, les deux pattes de devant qui lui manquaient. Je me sentais à nouveau charpentier ».
Enfin, dans « L’Atelier intérieur », c’est le cocon intime de Zadkine qui s'expose. Femmes, oiseaux et personnages mythologiques, figures centrales de son univers y sont présentées. L’atelier comme place où s’opère l’alchimie de création, apparait comme le lieu « matriciel » du musée et de l’exposition. Odalisque ou encore une expérimentation d’autoportrait trônent, dans cette pièce immaculée d’un calme rassurant.
L’exposition « L’instinct de la matière » permet donc véritablement de découvrir ou redécouvrir l’œuvre d’Ossip Zadkine, finalement peu connue en France. La scénographie soignée et sobre vient appuyer l'idée de lien organique qui unit le sculpteur et la matière, leitmotiv de la présentation. A l’occasion du 130e anniversaire de l’artiste, le visiteur pénètre dans l’intimité du dialogue avec les différents matériaux, les « puissances formelles ».
Le Musée Zadkine est un lieu à découvrir. Comme un ovni dans la galaxie muséale parisienne, ce musée-atelier constitue un surprenant havre de paix dans une capitale toujours plus agitée.
Musée Zadkine 100bis rue d'Assas, 75006 PARIS
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Exposition Ossip Zadkine, l'instinct de la matière
Jusqu'au 10 février 2019
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