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Splendeurs et décadence du dernier des rois de France, à la Galerie des Gobelins

  • Photo du rédacteur: Aurélien Delahaie
    Aurélien Delahaie
  • 27 avr.
  • 8 min de lecture

Depuis maintenant deux siècles, les amateurs français de têtes couronnées sont condamnés à se prendre de passion pour les familles royales de leurs voisins européens. Cantonnés, le plus souvent, à leurs écrans de télévision, ils doivent vivre par correspondance les mariages et les sacres des monarques et princes étrangers. Alors qu’encore récemment le dernier couronnement d’un souverain britannique remontait à 1953, il y a donc maintenant 72 ans, il était encore plus inimaginable de se dire que l’on pourrait assister à un tel événement en terre française. Et pourtant… le Mobilier national, assisté de Stéphane Bern et de Jacques Garcia, s’est attelé à cette étonnante tâche à l’occasion de la commémoration du bicentenaire du sacre du dernier roi de France, Charles X, survenu le 29 mai 1825 dans la cathédrale de Reims. Une exposition qui, à nos yeux, mérite un grand succès public.


Jean-Charles Cahier (1772-1857), Reliquaire de la Sainte Ampoule, vermeil, cristal, émeraudes et rubis, 1822, trésor du Palais du Tau, Reims ©Aurélien Delahaie
Jean-Charles Cahier (1772-1857), Reliquaire de la Sainte Ampoule, vermeil, cristal, émeraudes et rubis, 1822, trésor du Palais du Tau, Reims ©Aurélien Delahaie

Avant de décortiquer plus profondément la construction et le discours développés dans les salles, arrêtons-nous d’abord quelques instants sur les préjugés dont est victime le sujet de cette exposition. Rappelons premièrement à ceux qui se refuseraient de pousser les portes de la manufacture des Gobelins sous prétexte de ne pas vouloir participer à une manifestation trop connotée par ses sous-entendus royalistes qu’il s’agit avant tout de s’intéresser à un haut fait de l’histoire de France, dont l’importance fut soulignée par ses contemporains. À l’image du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, évoqué par plusieurs expositions en 2021, l’avènement de Charles X marqua suffisamment les esprits du temps pour mériter qu’en 2025, historiens, conservateurs et autres professionnels du patrimoine se replongent dans son analyse. Le catalogue publié à cette occasion prouve d’ailleurs clairement l’intention scientifique de la démarche entreprise et les 59 euros qu’il faut débourser pour en faire l'acquisition sont amplement mérités, eu égard à son épaisseur et à son contenu.


Par opposition à ceux qui fuient l’exposition par anti-royalisme primaire, figure un autre parti, qui, assuré de trouver une légitimité à ses idées croit pouvoir venir en ces lieux sans hésitation pour se gargariser devant un événement que certains aimeraient (trop) revivre. Ces personnes, dont la négligence intellectuelle leur fait croire qu’ils s’intéressent plus à l’Histoire qu’à la politique se trompent alors de lieu, et il leur aurait fallu franchir les portes du Puy du Fou pour se satisfaire.


Cela étant dit, aux simples curieux qui souhaiteraient en apprendre plus - sans a priori - sur cet événement aujourd’hui un peu oublié de la mémoire collective, nous ne saurions que leur dire de prendre, sans plus attendre, la direction de la Place d’Italie. Ils en sortiront probablement grandis par les connaissances acquises et ravis d’avoir pu découvrir de si belles choses.


Maison Saint-Hilaire-Terson (entrepreneurs de pompes funèbres, actifs de 1821 à 1832), tissu de velours violet brodé de fleurs de lys en fils métalliques argentés, 1824, d'après Jacques-Ignace Hittorff et Jean-François Lecointe, Mobilier national ©Aurélien Delahaie
Maison Saint-Hilaire-Terson (entrepreneurs de pompes funèbres, actifs de 1821 à 1832), tissu de velours violet brodé de fleurs de lys en fils métalliques argentés, 1824, d'après Jacques-Ignace Hittorff et Jean-François Lecointe, Mobilier national ©Aurélien Delahaie

Tout au long de l’exposition, le visiteur se retrouve comme plongé dans le passé par la muséographie dont l’objectif est de restituer une image globale des événements du sacre. Sans vouloir tomber dans la mise en scène grotesque ou dans le décor de théâtre, le commissariat général s’est mis en quête des différents éléments de décors et d’objets qui servirent tout au long des événements qui nous intéressent. Il est presque surprenant de découvrir l’importante somme des artefacts parvenus jusqu’à nous, souvent dans un état remarquable car ils ne furent, pour certains, utilisés qu’une ou deux fois. Notons que la présentation de ces objets, tentures et mobiliers, souvent créés pour l’occasion, font resurgir du passé les noms d’artistes et de grandes maisons, dont certains furent effacés des mémoires au fil du temps. Citons, entre autres, l’orfèvre Jean-Charles Cahier, la maison de broderie Dallemagne & Guibout ou encore les architectes Jacques-Ignace Hittorff et Jean-François Lecointe.


Reconstitution de la couronne de France déposée sur le catafalque lors des obsèques de Louis XVIII à la basilique de Saint-Denis en 1824 ©Aurélien Delahaie
Reconstitution de la couronne de France déposée sur le catafalque lors des obsèques de Louis XVIII à la basilique de Saint-Denis en 1824 ©Aurélien Delahaie

C’est tout naturellement que l’exposition aborde les faits de manière chronologique en commençant par une remise en contexte historique et par l’évocation des funérailles du roi Louis XVIII, décédé en septembre 1824. La reconstitution du catafalque où fut exposé le cercueil du « roi podagre » dans la basilique de Saint-Denis, invite le visiteur à découvrir les instants ultimes du dernier monarque français mort en exercice. Celui-ci, restauré sur le trône après la chute de Napoléon Ier, avait envisagé, tout au long de son règne, de se faire couronner à Reims pour marquer la continuité du pouvoir royal malgré les troubles de la Révolution et de l’Empire que les Bourbon considéraient comme une simple parenthèse. Si le projet avait avancé et que plusieurs objets furent commandés par le roi, rien ne se fit jusqu’à son décès. C’est finalement la tenue de ses obsèques qui marqua la reprise de la continuité du cérémonial d’Ancien Régime tant recherché. Un tel événement ne s’étant pas produit en France depuis la mort de Louis XV en 1774, il fallut donc se référer aux archives et aux documents protocolaires encore conservés.


Reproduction du sceptre de Charles V, déposé sur le catafalque lors des obsèques de Louis XVIII à la basilique de Saint-Denis en 1824 ©Aurélien Delahaie
Reproduction du sceptre de Charles V, déposé sur le catafalque lors des obsèques de Louis XVIII à la basilique de Saint-Denis en 1824 ©Aurélien Delahaie

La reconstitution saisissante proposée dès la première salle tente de donner une idée du cérémonial et des curiosités qui s’y attachent. Étaient ainsi posés sur le cercueil des regalia confectionnés pour l’occasion - ou pour le sacre qui n’arriva jamais -, notamment la couronne mais aussi une réplique du sceptre de Charles V, dont la version originale est conservée dans les salles du Louvre. Notons enfin le dais qui surplombe le catafalque, entièrement brodé de velours violet cramoisi et de fleurs de lys en fil d’argent, remplacées par des larmes lors de son réemploi pour les obsèques du prince Jérôme Bonaparte en 1860.


Ces obsèques, dont le caractère se voulait déjà grandiose, était, dans l’esprit de tous, un échauffement pour ce qui allait suivre. À peine l’enterrement terminé, chacun a en effet en tête l’organisation du sacre du comte d’Artois, le frère de Louis XVIII, héritier du trône en l’absence de descendance masculine de son prédécesseur. Charles X, connu pour être le chef de file des « ultras », une ligne plus radicale que celle de son frère, ne compte pas tergiverser sur la tenue de son sacre à Reims. Il demande à ses ministres, dont le duc de Doudeauville, d’organiser une cérémonie fastueuse dans la traditionnelle ville de Reims afin de réaffirmer son autorité royale sur la France. À nouveau, les recherches en archives sur le déroulé d’une telle cérémonie sont nécessaires tandis que les plus grands artistes sont mis à contribution pour préparer les décors.


Reconstitution de la décoration et de l'ameublement de la chambre du roi Charles X au Palais du Tau à Reims, à l'occasion du sacre du 29 mai 1825 ©Aurélien Delahaie
Reconstitution de la décoration et de l'ameublement de la chambre du roi Charles X au Palais du Tau à Reims, à l'occasion du sacre du 29 mai 1825 ©Aurélien Delahaie

Le déplacement du monarque suggère également l’aménagement d’appartements dignes de ce nom dans le Palais du Tau, attenant à la cathédrale de Reims. Entièrement réaménagés, les espaces intérieurs laissent place à une étonnante salle néo-gothique où figurent les portraits de chacun des rois de France. Fortement endommagés par les bombardements durant la Première Guerre mondiale, ces décors ne sont malheureusement pas parvenus jusqu’à nous mais font l’objet d’une excellente et intéressante reconstitution virtuelle. Déplorons peut-être le peu de places assises disponibles pour pouvoir la regarder. Pour nous consoler cependant, la chambre du roi, intégralement brodée de vert, couleur de la livrée du comte d’Artois devenue celle de ralliement des ultras, est reproduite avec son mobilier de style Empire, encore très à la mode à l’époque.


Maison Dallemagne & Guibout (brodeurs actifs de 1823 à après 1843), manteau royal de Charles X, velours de soie, broderies de fils métalliques dorés, satin, fourrure synthétique, 1826, Cathédrale de Sens ©Aurélien Delahaie
Maison Dallemagne & Guibout (brodeurs actifs de 1823 à après 1843), manteau royal de Charles X, velours de soie, broderies de fils métalliques dorés, satin, fourrure synthétique, 1826, Cathédrale de Sens ©Aurélien Delahaie

La plus spectaculaire des pièces de l’exposition reste cependant la salle du sacre où est présenté le grand manteau fleurdelysé qui recouvre les épaules de Charles X sous les yeux des plus grands dignitaires du royaume et des délégations étrangères. Remarquons à nouveau la couleur violette employée, symbole du deuil royal en hommage à son prédécesseur. En France, comme dans d’autres cours européennes, cette couleur est exclusivement réservée au souverain. Plus récemment, à la suite du décès du prince Philip en Grande-Bretagne, la reine Elizabeth II était ainsi apparue vêtue de violet durant sa période de deuil. Derrière le vêtement royal, sont ensuite exposés les habits du Grand-Maître de France, le duc d'Uzès et du Grand Chambellan, le non moins célèbre Talleyrand, décidément toujours accroché au pouvoir.


Détail du petit manteau et du petit costume de cérémonie de l'ordre du Saint-Esprit, assortis du grand cordon et du collier de l'ordre ©Aurélien Delahaie
Détail du petit manteau et du petit costume de cérémonie de l'ordre du Saint-Esprit, assortis du grand cordon et du collier de l'ordre ©Aurélien Delahaie

Après une rapide évocation du banquet tenu dans le Palais du Tau à la suite de la cérémonie qui dura près de quatre heures, une dernière salle rappelle encore la portée symbolique du sacre voulu par Charles X. Dans celle-ci est évoquée la seconde cérémonie qui se tint le lendemain avec l’ensemble des membres de l’ordre du Saint-Esprit. Plus haute distinction accordée sous l’Ancien Régime, elle est abolie sous la Révolution. Le monarque souhaitant en faire un symbole fort de la restauration de son pouvoir, il organise une cérémonie au cours de laquelle chaque membre, vêtu du petit manteau de l’ordre, se voit notamment remettre un grand cordon et un collier en or émaillé après avoir prêté serment d’allégeance au nouveau souverain. Cette salle, comme les précédentes, présente d’exceptionnelles pièces tendant à nous faire prendre la mesure du faste désiré pour ce second acte cérémoniel, qui peina toutefois à convaincre ses contemporains.



Reconstitution de la table dressée au Palais du Tau pour le banquet donné en l'honneur du roi à l'occasion du sacre, le 29 mai 1825 ©Aurélien Delahaie
Reconstitution de la table dressée au Palais du Tau pour le banquet donné en l'honneur du roi à l'occasion du sacre, le 29 mai 1825 ©Aurélien Delahaie

Dernier sursaut du pouvoir légitimiste en France, le sacre est en réalité un chant du cygne pour la dynastie des Bourbon qui ne régnera plus sur le pays que pour cinq années. Bercé d’illusions quant au retour de la monarchie absolue, bouffi d’orgueil jusqu’à sa chute, Charles X ne pris pas la mesure des changements survenus dans son royaume depuis 1789. Moins habile politique que Louis XVIII, n’acceptant que peu la charte constitutionnelle consentie par son frère, la liberté de la presse et la liberté d’expression, son pouvoir s’effondra sur lui-même lors des journées de 1830. À l’image de son sacre flamboyant qui le plaçait, le croyait-il, sur un piédestal, dans la continuité de ses prédécesseurs, Charles X resta dans le déni du peuple et refusa d’entendre sa colère. En juillet 1830, depuis le château de Saint-Cloud, il s’efforça ainsi de continuer à jouer aux cartes tandis que son entourage s'écharpait et ses valets désertaient progressivement son palais*. Plus personne, pas même Napoléon III, qui y songea pourtant, n’osera plus, en France, se frotter à l’épineux exercice du couronnement. Plus aucun monarque ne se revendiquera également du droit divin pour légitimer son titre. Tous préférèrent le tenir de la - relative - volonté populaire, portant alors l'appellation de roi ou d'empereur « des Français ». De cette cérémonie dont on garde aujourd’hui le souvenir avec un brin d’étonnement pour son ancestral déroulé, il restera désormais la tenue de cette exposition d’une qualité scientifique et esthétique remarquables. Sans a priori, et avec le regard le plus neutre vis-à-vis de ses propres convictions, sachons donc venir, avec délice, redécouvrir ce morceau d’histoire bicentenaire.


* À ce sujet, voir les édifiantes pages consacrées à la chute de Charles X dans Charles-Eloi Vial, Les derniers feux de la monarchie, éditions Perrin, 2019, p. 398-403.

Le Dernier Sacre, au Mobilier national, du 11 avril au 20 juillet 2025, 42 avenue des Gobelins, 75013, Paris, métro Les Gobelins ou Place d'Italie (lignes 7, 6 et 5)

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