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Un ensemble exceptionnel de dessins de Georges Méliès aux enchères.


Georges Méliès photographié vers 1890.

Lorsqu’est évoqué le nom de Georges Méliès, dessinateur n’est pas le premier mot qui vient à l’esprit. Cinéaste, truqueur, magicien par contre, correspondent plus à notre connaissance de ce pionner des effets spéciaux et du cinéma. Méliès était pourtant également bel et bien un maître du dessin, un art qu’il pratiquait aussi bien en lien avec ses films – en témoigne le remarquable ensemble conservé à la cinémathèque française qu’il réalisa en 1937 à la demande d’Henri Langlois sur le modèle de planches disparues - qu’en tant que dessinateur de presse, de caricaturiste. C’est à cette dernière production qu’il faut ainsi rattacher un rare ensemble de douze dessins qui passera en vente dimanche 10 octobre 2021 chez Le Floc'h à Saint-Cloud.


Georges Méliès, Autoportrait enchâiné à la gare Montparnasse, vers 1930, encre sur papier, Cinémathèque française.

George Méliès nait en 1861. Son père, un cordonnier-bottier aux affaires florissantes, le destine à poursuivre dans cette voie. C’est un garçon brillant, mais qui remplit déjà ses cahiers de griffonnages : « C'était plus fort que lui, et tandis qu'il ruminait une dissertation française ou des vers latins, sa plume, machinalement, dessinait des portraits ou caricatures de ses professeurs ou de ses camarades, à moins qu'il ne composât quelque palais de fantaisie ou quelque paysage original ayant déjà l'allure d'un décor théâtral. » (Georges Méliès, « Mes Mémoires », In M. Bessy et L. Duca, Georges Méliès, mage, Paris, Prisma, 1945 – Dans ses textes, Georges Méliès parle de lui à la troisième personne). C’est pour parfaire son anglais et se former que son père l’envoie pour un séjour à Londres en 1884, au lieu de quoi, Méliès rencontre la prestidigitation. A son retour à Paris, il se dévoue entièrement à cet art fantastique, et abandonne, non sans soulever la colère paternelle, le chemin qui lui était tracée. Il achète en 1888 le théâtre Robert-Houdin à Paris et y produit ses propres spectacles. Dessinant toujours, il fait une brève carrière entre 1889 et 1890 pour l’hebdomadaire La Griffe, profondément antiboulangiste (en référence au général Boulanger, qui fut un temps ministre de la guerre). Ses caricatures, signées par l’anagramme imparfait Geo Smile ont du succès. Sans doute parce que ses spectacles occupent tout son temps, il quitte La Griffe, sans pour autant abandonner totalement la caricature qu’il pratiqua comme loisir jusqu’à la fin de sa vie. Il deviendra par la suite, après 1895 et l’invention du cinématographe, le « magicien du cinéma » dont nous nous rappelons aujourd’hui. Ses archives, notamment exposés en ce moment au Musée Méliès de la Cinémathèque Française (auquel Coupe-File Art a déjà dédié un article), témoigne de cette obstination du dessin qui continua toute sa vie. Peignant les décors, imaginant les costumes et les scénarios, Méliès parvient à un univers propre d’une richesse incroyable, où les traits caricaturaux ne sont jamais bien loin.

Georges Méliès et sa famille à Mers-les-bains, coll. privée.

Les œuvres passant en vente chez Le Floch sont de dimensions relativement imposantes (20 x 30 cm en moyenne) et ont été réalisées à l’encre réhaussée au crayon de couleur vers 1907, sans doute lors d’un séjour à Mers-Les-Bains. Cette petite station balnéaire située dans la Somme était alors un lieu particulièrement apprécié des parisiens souhaitant s’offrir quelques jours de vacances. Jules Verne, Gustave Eiffel et donc Georges Méliès y séjournaient régulièrement. Attestant de cela, un certain nombre de cartes postales et de photographies anciennes ont été mises à jour par l’Association des Propriétaires de Mers-les-Bains (« Georges Méliès : un pionnier du cinéma à Mers-les-Bains » - APRIM - Association des Propriétaires, Résidents et Intéressés par Mers-les-Bains (over-blog.com)). La plus fameuse montre Georges, sa première épouse Eugénie ainsi que leurs enfants Georgette et André dans la maison louée à l’occasion de leur séjour.


De gauche à droite :


- Georges Méliès, François du tréport, vers 1907, encre rehaussée au crayon de couleur, Saint-Cloud, Le Floch, vente du 10/10/2021. Est : 200 - 300 EUR. Adjugé (hors-frais) 650 €.

- Georges Méliès, Gratte-à-mort, vers 1907, encre rehaussée au crayon de couleur, Saint-Cloud, Le Floch, vente du 10/10/2021. Est : 300 - 400 EUR. Adjugé (hors-frais) 450 €.


Georges Méliès croque ainsi dans la majorité de ces douze dessins la vie de la petite station balnéaire qu’il tourne parfois en dérision. Il représente par exemple un certain François, le mendiant du port -lieu évoqué par les quelques mats au loin-, affligé par un large chapeau de paille lui couvrant les yeux et portant autour du cou une pancarte où il est inscrit la formule « Aveugle par nécessité ». Dans la même idée, sur un autre dessin, un vieux violoniste à l’archet démesuré se retrouve surnommée « Gratte-à-mort ».


Méliès dessine également les vendeurs ambulants qu’il croise sur la plage ou dans la ville comme celui qui entonne « à la gui-gui, à la guimauve, un sou l’baton », celui qui vend des « bons cacouettes » tout en jouant de la flûte ou encore la vieille vendeuse de moule. En tout sur les douze caricatures, cinq représentent de tels vendeurs que Méliès croque sur le vif sans pour autant les moquer.


De gauche à droite :


- Georges Méliès, La vendeuse de moules, vers 1907, encre rehaussée au crayon de couleur, Saint-Cloud, Le Floch, vente du 10/10/2021. Est : 400 - 600 EUR. Adjugé (hors-frais) 1400 €.

- Georges Méliès, Absalon II, vers 1907, encre rehaussée au crayon de couleur, Saint-Cloud, Le Floch, vente du 10/10/2021. Est : 400 - 600 EUR. Adjugé (hors-frais) 1500 €.

- Georges Méliès, Le vendeur de cacahuètes, vers 1907, encre rehaussée au crayon de couleur, Saint-Cloud, Le Floch, vente du 10/10/2021. Est : 400 - 600 EUR. Adjugé (hors-frais) 1900 €.


Il n’est pas possible d’en dire autant pour les deux dessins consacrés au Concours de château de sable, une affaire sérieuse semble-t-il, mais que Méliès tourne totalement en dérision en représentant chacun des protagonistes avec une tête de légume. Dans celui représentant l’annonce du premier prix, un homme bien en chair, à la tête de cornichon, sans aucun doute le président du concours, désigne du doigt un ridicule monticule de terre surmonté d’un drapeau français et s’écrit devant tout une assemblée d’hommes circonspects aux têtes de courges - les différents concurrents ou membres du jury - : « Voici, messieurs, un chef-d'œuvre qui mérite incontestablement !!! Le premier prix !!! ». Le deuxième dessin sur le même thème représente le vainqueur, le fier Monsieur Lapoire, Grand prix d’honneur du concours de sable de la ville de Mers, pelle à la main et couronne de laurier autour du front. Encore une fois son piètre monticule est dominé par le drapeau français. Faut-il lire dans ce symbole une critique du régime alors en place ?

De gauche à droite :


- Georges Méliès, Le concours de sable, vers 1907, encre rehaussée au crayon de couleur, Saint-Cloud, Le Floch, vente du 10/10/2021. Est : 400 - 600 EUR. Adjugé (hors-frais) 1000 €.

- Georges Méliès, Lapoire, vers 1907, encre rehaussée au crayon de couleur, Saint-Cloud, Le Floch, vente du 10/10/2021. Est : 400 - 600 EUR. Adjugé (hors-frais) 1000 €.


Le dessin le plus imposant de la série, celui caricaturant Clemenceau, semble en tout cas aller dans ce sens. Le Tigre, surnommé par le titre du dessin « Le premier flic de France », est montré en uniforme policier, assis sur un trône, tenant d’une main une matraque et de l’autre une épée. A ses côtés, plantés dans le sol, deux épouvantails chacun ornés d’une pancarte : « Repos Hebdomadaire » pour l’un ; « Impôt sur le revenu » pour l’autre. Devenu en octobre 1906 Président du conseil, Clemenceau, qui était plutôt de gauche, s’illustre pourtant par sa férocité contre les mouvements sociaux. Par ce dessin, Méliès le met ainsi face à ses contradictions, lui qui a prôné l’instauration du repos hebdomadaire et de l’impôt sur le revenu se retrouve désormais au pouvoir, symbolisé par le trône, et agit les armes à la main contre ceux qu’il soutenait ; ses idées de gauche n’étant plus que des épouvantails, des promesses sans fondements.

Georges Méliès, Le premier flic de France, vers 1907, encre rehaussée au crayon de couleur, Saint-Cloud, Le Floch, vente du 10/10/2021. Est : 500 - 800 EUR. Adjugé (hors-frais) 1300 €.

C’est donc un ensemble exceptionnel qui passera très bientôt en vente et cela pour des prix assez modestes (aucune estimation au-dessus de 800€). Espérons donc que la Cinémathèque française préempte ces douze dessins, ce qui ferait un magnifique écho à l’ouverture du tout récent musée Méliès et rendrait hommage au legs de sa petite fille Madeleine qui passa sa vie à tenter de rassembler les collections dispersées de son grand-père.

 

Compte rendu après vente :

La vente du 10 octobre a rendu son verdict et les oeuvres ont toutes doublé, voire triplé, leur estimation hausse; les figures seules de vendeurs ayant été étonnamment les plus appréciées avec le record pour le vendeur de cacahouètes et ses 1900 € (hors-frais). Malheureusement, et comme c'était à craindre, aucune préemption n'a eu lieu... Cet ensemble unique repart donc en mains privées, et cela de manière dispersée...

 

Vente TABLEAUX, MOBILIER & OBJETS D'ART, Saint-Cloud, Le Floch, dimanche 10 octobre 2021 - 14:00.

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