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L’École de Paris au musée de Montmartre : la Collection Marek Roefler

  • Antoine Bouchet
  • il y a 2 heures
  • 5 min de lecture

Par Antoine Bouchet


Un siècle après l’avoir quitté, l’École de Paris revient à Montmartre grâce au prêt par le Polonais Marek Roefler de 130 toiles et sculptures représentatives du mouvement. De la Villa La Fleur près de Varsovie où elles sont habituellement conservées jusqu’au musée de Montmartre, les oeuvres empruntent ainsi le même chemin que certains des artistes qui les ont façonnées au début du siècle dernier.


Henri Hayden (1883-1970) Les Joueurs d’échecs, 1913. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak © Adagp, Paris, 2025
Henri Hayden (1883-1970) Les Joueurs d’échecs, 1913. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak © Adagp, Paris, 2025

« Le projet était particulièrement important pour nous, parce que l’École de Paris naît à Montmartre avant de fleurir à Montparnasse », confie Alice Silvia Legé, commissaire de l’exposition et responsable de la conservation du musée. La géographie constitue d’ailleurs la porte d’entrée vers ce mouvement pluriel, à travers une carte affichée dans la première salle et répertoriant les villes d’origine des artistes mis à l’honneur. Le grand public s’exclamera sûrement à la lecture des noms d’Ossip Zadkine et Amedeo Modigliani, aux côtés desquels on retrouve Tamara de Lempicka, Maurice Mendjizky, Moïse Kisling, Wladyslaw Slewinski, Louis Marcoussis, Alice Halicka, Henri Hayden, Mela Muter, Boleslas Biegas ou encore Foujita.


Une diaspora bigarrée


Si la contribution des artistes originaires des pays de l’Est à l’École de Paris est plus importante que celle des Italiens, des Sud-Américains ou des Japonais, « on retrouve ici plus de Polonais en proportion par rapport à ce qu’ils pesaient dans l’École de Paris, parce que c’est aussi le reflet de la collection de Marek Roefler », reconnaît Alice Silvia Legé. Pour restituer au visiteur l’essence de ce mouvement éclectique, le parcours débute par Les joueurs d’échecs d’Henri Hayden. Dans ce grand format emblématique du mouvement, des hommes et des femmes jouent dans un café, sûrement inspiré par ceux - La Coupole, le Dôme ou le Sélect - fréquentés à Montparnasse par le milieu artistique dans les Années folles. Certains personnages sont Français, d’autres étrangers. Au fond, on reconnaît le peintre, qui fume la pipe tandis qu’il suit le développement de la partie. Pour Alice Silvia Legé, « cette partie symbolise à la fois la difficulté d’être artiste et de l’intégration en France ».


L’origine-même du terme « d’École de Paris » est symptomatique de la défiance voire de l’hostilité que suscite la présence de ces étrangers dans la capitale. Jusqu’en 1923, les artistes exposés au Salon des indépendants le sont par ordre alphabétique. Cette année-là, on décide pour la première fois d’une présentation par nationalité, ce qui fait scandale. Pour Alice Silvia Legé, « il y a un souhait de mise en valeur qui est mal interprété par la presse, qui s’enflamme et accuse ces artistes étrangers de salir l’art français ». C’est la « querelle des étrangers ». En 1925, le critique André Warnod reprend à son compte l’appellation d’« École de Paris » pour défendre et célébrer ces artistes attaqués par une partie de l’opinion.


Sacha Zaliouk (1887-1971) Portrait de Foujita, vers 1914. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak © Droits réservés
Sacha Zaliouk (1887-1971) Portrait de Foujita, vers 1914. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak © Droits réservés

Une fois passée cette nécessaire mise au point sémantique et historique, le public découvre un accrochage d’autoportraits de quelques uns des principaux visages d’une École de Paris dont, en réalité, aucun de ses membres ne se réclame. La diversité des visages s’offrant à la vue du visiteur fait écho à celle des courants artistiques qui traversent le mouvement et cette exposition. On retrouve ainsi le Russe Marc Chagall, les Japonais Foujita et Toshio Bando ou encore la Polonaise Mela Muter.


Les femmes à l’honneur


Le parcours se poursuit par la présentation des quartiers de Montmartre et surtout de Montparnasse, où déménagent la plupart des artistes parisiens dans les années 1910, fuyant - déjà ! - la hausse des prix de l’immobilier. Là encore, c’est une toile d’Henri Hayden qui sert d’illustration avec une vue des boulevards Montparnasse et Raspail peinte depuis son atelier. Dans la même salle, une nouvelle carte recense l’emplacement des ateliers des principaux artistes de la période, majoritairement situés au sud de la capitale. Et qui de mieux pour représenter ce Montmartre des années 1920 que la célèbre « Kiki » ? Cette figure emblématique de l’entre-deux guerres jalonne l’exposition aussi bien en tant que muse d’artistes qui l’ont immortalisée comme modèle (ci-bas par Moïse Kisling) … que comme peintre, avec un portrait de Chaïm Soutine.


Moïse Kisling (1891-1953) Nu allongé, Kiki de Montparnasse, 1925. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak
Moïse Kisling (1891-1953) Nu allongé, Kiki de Montparnasse, 1925. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak

Au deuxième étage, l’immersion didactique laisse place à des thématiques plus engagées qui « mettent en valeur le parcours humain des artistes », selon Alice Silvia Legé. Dans le sillage de Kiki de Montparnasse, les femmes sont à l'honneur. On découvre ainsi la Danseuse russe de Tamara de Lempicka, une huile inachevée qui célèbre ses racines russo-polonaises et fait écho aux ballets russes alors à la mode. Les amateurs apprécieront la différence de traitement des surfaces, de la précision des traits du visage à l’attention portée aux perles.


Tamara de Lempicka (1894-1980) Danseuse russe, 1924-1925. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak © Tamara de Lempicka Estate, LLC / Adagp, Paris, 2025
Tamara de Lempicka (1894-1980) Danseuse russe, 1924-1925. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak © Tamara de Lempicka Estate, LLC / Adagp, Paris, 2025

Parmi les principaux sujets de l’accrochage des salles supérieures, on retrouve la maternité et l’exil, tous deux traités avec brio par la Polonaise Mela Muter. La maternité d’abord, avec ce grand format aux airs de Vierge à l’enfant et qui transmet « un sens du deuil », pour Alice Silvia Legé. « C’est un schéma qui l’accompagne tout au long de sa carrière pour des raisons autobiographiques ». La toile a été peinte en 1924, année de la mort de son fils unique Andrzej. L’exil ensuite à travers Le Guitariste réalisé en 1930. Dans une scène urbaine que l’on devine se dérouler à Cracovie, un musicien joue de son instrument, impassible au chaos environnant. « C’est une artiste très sensible, qui a une capacité forte à “anticiper” les éléments de son temps », observe Alice Silvia Legé. Le krach de 1929 a eu lieu l’année précédente, la crise économique engourdit déjà l’Occident, et un personnage soufflant dans une trompette annonce l’Apocalypse à venir de la Seconde guerre mondiale.


Le travail de Alice Halicka est une autre manifestation vibrante de la résilience de ces artistes féminines, parfois bridées par les mœurs de l’époque. Lorsque son époux Louis Marcoussis - exposé à ses côtés - revient du front après la Grande Guerre, celui-ci lui interdit de peindre. « Il estimait qu’il ne pouvait y avoir qu’un peintre cubiste dans la famille », rappelle la conservatrice du musée. Face à cette interdiction, Alice Halicka se réinvente alors avec ses « romances capitonnées », des collages composés de morceaux de tissus.


Mela Muter (1876-1967) Maternité, 1924. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak © Droits réservés
Mela Muter (1876-1967) Maternité, 1924. © Villa La Fleur / Ph. Marcin Koniak © Droits réservés

Des styles très différents


Sur le plan de l’innovation, Louis Marcoussis est lui-même à l’avant-garde lorsqu’il imagine une composition sous verre inversé. La peinture est réalisée au dos du premier niveau de verre et prise en étau par une seconde plaque, ce qui accouche d’un rendu extrêmement lisse pour l’époque.


Passée une salle intimiste rappelant les origines juives de bon nombre des représentants de l’École de Paris et le destin tragique que certains connurent lors de la Shoah, l’exposition s’achève sur des paysages colorées qui élargissent encore la palette des influences artistiques. En témoigne cette Jungle de Joseph Hecht qui évoque immanquablement le Douanier Rousseau, ou ce Bouquet d’Hélène d’Oettingen qui annonce quant à lui l’abstraction.


Postimpressionnisme, cubisme, abstraction et même symbolisme : grâce à cette première exposition hors les murs, la collection Marek Roefler offre à voir aux Parisiens un riche aperçu de la diversité de « leur » École. Un agrégat d’artistes aux origines diverses, qui ont su trouver dans les cafés du Montparnasse des Années folles une même capacité à créer et à innover. Par sa palette de couleurs chatoyantes et sa variété de supports, cette exposition au musée de Montmartre leur rend un bel hommage.

L'École de Paris, Collection Marek Roefler du 17 octobre 2025 au 15 février 2026 au musée de Montmartre (Paris 75018)


Sur le même sujet, découvrez nos podcasts consacrés à Kiki de Montparnasse, La Rotonde ou encore Modigliani !

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