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Miroir du Prince : Rolin, Clugny et les autres


C’est une double-exposition événement qui a ouvert ses portes le 4 juin dernier. Se déployant entre le musée Rolin d’Autun et le musée Denon de Chalon-sur-Saône, réalisée avec la collaboration exceptionnelle du musée du Louvre, Miroir du Prince revient sur le mécénat des hauts-dignitaires s'étant développé en Bourgogne dans les années 1440 - 1510, dans le sillage des ducs. Des Rolin, Nicolas et Jean en tête, aux Clugny à Autun en passant par les Germain, Poupet et Neufchâtel à Chalon, c’est une nébuleuse de commanditaires qui se livre à la connaissance du public, servie par d’exceptionnels prêts.


Jean Hey, Nativité avec le portrait de Jean Rolin. Vers 1480, musée Rolin. Autun ©NB


À Autun, Rolin et Clugny Le volet de l’exposition développé au musée Rolin d’Autun s’attarde naturellement les figures des Rolin mais aussi des Clugny. Plus de vingt ans après la dernière exposition consacrée au mécénat des Rolin (1994) et l’édition des actes du colloque La Splendeur des Rolin - un ouvrage absolument indispensable -, l’institution autunoise revient sur la prestigieuse famille. Les Rolin sont évidement indissociables d’Autun et de Beaune. Nicolas, chancelier du duc de Bourgogne Philippe le Bon, reste célèbre pour la fondation en 1443 de l’Hôtel Dieu de Beaune. Prestigieux mécène, son nom et sa figure restent également attachés à deux des plus grands chefs-d'œuvre de la peinture du XVe siècle : le Polyptyque du Jugement Dernier de Rogier van der Weyden et La Vierge dite "du chancelier Rolin" de Jan van Eyck.


La découverte en décembre dernier, même s'il était connu par divers plans et documents, de son présumé caveau funéraire sur l’ancien site de l'église Notre-Dame du Châtel, où il fut baptisé et pour laquelle il se montra fort généreux, l’a ramené sur le devant de la scène. La présentation dévoile d’ailleurs l’une si ce n’est la découverte principale du chantier mené à deux pas du musée Rolin : un éperon qui pourrait constituer celui du chancelier.


Si le Polyptyque de van der Weyden n’a bien évidemment pas fait le déplacement - nous ne pouvons que conseiller à nos lecteurs de se rendre à Beaune pour l’admirer - une salle entière est spécifiquement dédiée à l’Hôtel-Dieu de Beaune. Outre les tapisseries d’emblème du chancelier et quelques mobiliers, le Christ des Hospices a fait le déplacement. Attribué à Jan II Borman, ayant appartenu à la guilde des sculpteurs de Bruxelles en 1479, cette imposante figure d’1 mètre 75 surplombait jadis la « Grande Chambre des Povres » et faisait face au Polyptyque de van der Weyden, achevé en 1451. Établis à Louvain puis Bruxelles, les Borman répondirent à un nombre colossal de commandes entre 1460 et 1590, soit sur près de quatre générations. Toujours dans le registre de la sculpture, l’exposition offre l’occasion de découvrir la Vierge Bulliot, attribuée à Claus de Werve, restaurée. Commande très importante, destinée à orner l’autel de Notre-Dame-du-Châtel, la sculpture en calcaire polychrome a fait l’objet d’une nouvelle étude conduite en étroite collaboration avec le C2RMF et dont les premiers résultats sont publiés dans le cadre de l’exposition.


De gauche à droite :

Att. à Jan II Borman, Christ de Pitié. Chêne polychrome, vers 1500. Beaune, Hospices civils.©NB Att. à Claus de Werve, Vierge Bulliot. Provenant de la collégiale Notre-Dame-du-Châtel, vers 1435. Musée Rolin, Autun. ©NB

Vue de la salle consacrée à l'Hôtel-Dieu de Beaune ©NB


Hervé Mouillebouche, dans le catalogue de l’exposition, revient également sur les châteaux et hôtels ayant appartenu à Nicolas Rolin mais aussi à Guigone de Salins, son épouse. D’Épinac à Authume, où le chancelier aimait se rendre lorsqu’il ne résidait pas à Beaune ou Dijon, en passant par Gergy, c’est un nombre colossal d’édifices ayant appartenu au couple qui se dévoile dans cet essai. Certains sont aujourd’hui détruits, d’autres - et c’est plutôt le cas-, comme le château d’Épinac, sont en main privée.


Les propriétés de Jean Rolin, le fils de Nicolas, sont également recensées. La maison épiscopale de Saint-Denis de Vaux, restaurée vers 1448 à la demande de ce dernier, fait notamment l’objet d’une attention particulière.


Maison épiscopale de Saint-Denis-de-Vaux. XIIIe siècle, remaniée à la demande de Jean Rolin en 1448. ©M Boda


Jean Rolin, contrairement à son père, fit carrière dans les ordres mais se montra également particulièrement enclin à la commande artistique. Des peintures de la chapelle Saint-Léger de Notre-Dame de Beaune à la Nativité peinte par Jean Hey vers 1480 en passant par les patrons de la Vie de la Vierge - commandés à Pierre Spicre en 1474 - transposés en tapisserie en 1503, le prélat laisse derrière lui une myriade de réalisations qui restent parmi les plus remarquables exemples de l’art du XVe siècle en Bourgogne.


La Résurrection de Lazare, vers 1471. Chapelle Saint-Léger, basilique-collégiale Notre-Dame de Beaune. ©NB


La commande architecturale n’est pas en reste. Lorsque un grand incendie ravage une partie de la cathédrale en 1465, le prélat prend à sa charge la restauration de l’édifice et apporte de nombreux embellissements entre 1466 et 1480. L’ancien clocher, entièrement détruit, est remplacé par une flèche qui atteint 80 m de haut. De même, il fait construire et décorer un grand jubé de pierre, une grande tribune d’orgue et une monumentale armoire-reliquaire de pierre pour abriter les reliques de saint Lazare. Dès 1453, Jean Rolin fonde la chapelle Saint-Vincent dans la cathédrale et la fait somptueusement décorer. Du décor peint subsistent quelques fragments conservés au musée Rolin et mis en lumière dans l’exposition. L’un d’entre eux figure le prélat qui apparaît moins vieillissant que dans la Nativité de Jean Hey. Les fragments pourraient donc être datables des années 1460 et restent aujourd’hui rapprochés de l’art de Pierre Spicre, marqué par van der Weyden. Difficile en réalité pour l'heure d’en juger.


Pierre Spicre ? Fragments de peintures murales provenant de la chapelle Saint-Vincent de la cathédrale SAint-Lazare d'Autun. Vers 1460-65, musée Rolin. ©NB

L'autre réel intérêt de cette présentation autunoise est de consacrer une partie entière à la famille de Clugny, quelque peu éclipsée au fil des siècles par la renommée des Rolin. Ayant compté d’éminents personnages de l’entourage ducal, cette famille s’est également distinguée dans le domaine de la commande artistique. La ville d’Autun présente deux importants vestiges de leur présence : la chapelle dorée dans la cathédrale St Lazare, pour laquelle Ferry de Clugny commande vers 1470 une Annonciation au peintre flamand Hans Memling - aujourd’hui chef-d'œuvre du Metropolitan Museum de New-York - ainsi qu'un ensemble de peintures murales encore partiellement visibles, et l’hôtel de Clugny dans la ville basse.


De gauche à droite :

Att. à Hans Memling, Annonciation. Vers 1470. Metropolitan Museum of Art, New York

Alexandre Denuelle, Relevé de la paroi occidentale de la chapelle dorée de Ferry de Clugny, 1845. La Procession du pape saint Grégoire durant la peste à Rome. ©NB


Installés dans cette partie de la ville, à quelques pas de la porte d’Arroux, au moins depuis les années 1360, les Clugny réorganisent justement leur hôtel particulier au XVe siècle. Sort alors de terre la Tour Marchaux, inscrite au titre des monuments historiques depuis 1927 et aujourd’hui encore véritable phare pour tout un quartier. Elle constitue d'ailleurs le principal vestige du XVe siècle, bien que sa charpente octogonale et son horloge datent du XVIIIe siècle. Pour rappel, l’édifice, largement modifié au XIXe siècle, est en vente depuis janvier et nous lui avons consacré un article.


D’autre part, deux des trois fragments actuellement connus de la tenture commandée en 1512 par Barthélémy de Clugny pour la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans ont fait le voyage jusqu’à Autun depuis leurs lieux de conservation, le château de Kronborg au Danemark et la cathédrale d’Orléans. Ces prêts remarquables sont complétés par des manuscrits non moins exceptionnels, illustrant la puissance de la famille, à commencer par le célèbre Missel de Ferry de Clugny. De manière générale, l’exposition présente des manuscrits majeurs, prêtés par les bibliothèques de la région et la BNF.


Nativité, tapisserie de la tenture de Barthélémy de Clugny commandée pour la cathédrale Sainte-Croix d'Orléans. Château de Kronborg, Elseneur. ©NB


À Chalon, Germain, Poupet et Neufchâtel

Si le volet châlonnais de l’exposition, développé dans les salles du musée Vivant Denon, revient lui aussi sur les figures de Nicolas Rolin et Guigone de Salins et la fondation de l’Hôtel-Dieu de Beaune, il fait la part belle à des commanditaires plus locaux comme Jean Germain mais aussi Charles de Neufchâtel et la famille Poupet, dont la commande est beaucoup moins importante. À noter également l’évocation de Philippe Pot, grand sénéchal de Bourgogne, seigneur de La Roche-Nolay et Châteauneuf dont un ex-voto offert à Notre-Dame de Dijon a récemment été redécouvert. L’homme reste avant tout célèbre pour son tombeau conservé au musée du Louvre mais aussi pour le château qui porte son nom - bien que très modifié au XIXe siècle par la famille Carnot -, le château de la Rochepot. Conseiller de Philippe le Bon en 1429 et évêque de Chalon-sur-Saône en 1436, Jean Germain a joué un rôle important dans l’installation et la diffusion de l’Ordre de la Toison d’Or, puissant instrument de politique étrangère créé en 1430, dont il avait été nommé grand chancelier par le duc. Il est nommé ambassadeur auprès du roi Charles VII à deux reprises et compose, en 1449, une mappemonde spirituelle censée répertorier les lieux associés à l’histoire du christianisme- allant de pair avec les projets de croisade de Philippe le Bon -. La bibliothèque de Lyon en conserve une copie s’ouvrant sur une scène de dédicace réalisée par Antoine de Lonhy, peintre, enlumineur et verrier actif dans les années 1440.


Autre manuscrit d’intérêt, prêté par la BNF, un exemplaire du Débat du chrétien et du sarrasin datée de 1449 et enluminé par le Maître de Jean Germain, peintre anonyme qui a fait l’objet de recherches ces dernières années. Pièce d’importance également liée à la famille Germain, mentionnons l’effigie funéraire de Jacques Germain, le père de Jean et d’après l’inscription « Honorable homme et bourgeois de Cluny ». Réalisé vers 1440-43, l’impressionnant transi fut installé dans l’église des Carmes de Dijon.


Maître de Jean Germain, Débat du chrétien et du sarrasin, 1449. Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.


Au delà des aspect purement artistiques, chaque volet de l’exposition replace dans le contexte politique de l’époque un événement ayant marqué les contemporains. Pour Autun, il s’agit du mariage d’Agnès de Bourgogne et de Charles de Bourbon le 17 septembre 1425. Pour Chalon, c’est le Pas d’Armes de la Fontaine aux Pleurs (1450), tournoi chevaleresque et courtois au cours duquel le chevalier Jacques de Lalaing remit son titre en jeu pendant un an sur l’île Saint-Laurent (alors que, jusque-là, les pas d’armes ne duraient que quelques semaines, voire quelques jours), qui est évoqué en détail.


Ce billet n'aura évidemment brossé qu’un maigre aperçu de cette exposition qui fera date, partagée entre le musée Rolin d’Autun et le musée Denon de Chalon-sur-Saône. Nous ne pouvons que conseiller à nos lecteurs de s’y rendre au plus vite et de se procurer le catalogue accompagnant la manifestation.


- Toutes les photographies de cet article, sauf mention contraire, ont été prises par et appartiennent à l'auteur -

 

Pour compléter, retrouvez la visite privée tournée en partenariat avec le blogueur Scribe Accroupi en compagnie d'Agathe Legros, directrice du musée Rolin :



 

Informations pratiques :

Exposition jusqu'au 19 septembre 2021


MUSÉE ROLIN :

3 Rue des Bancs, 71400 Autun


MUSÉE DENON

Place de l'Hôtel de ville, 71100 Chalon-sur-Saône


Catalogue de l'exposition :

Miroir du prince

1425-1510 - la commande artistique des hauts fonctionnaires à la cour de bourgogne


Sous la direction Brigitte Maurice-Chabard, Sophie Jugie, Jacques Paviot


Ed. Snoeck, 35 €

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